Étude du CIRANO
La perte de confiance envers la santé publique durant la COVID n'est pas sans impacts
Par La Presse Canadienne
Le financement en promotion de la santé et en prévention des maladies a chuté pendant la pandémie de la COVID-19. À long terme, cela pourrait avoir des impacts sur la santé de la population, prévient une étude du CIRANO. Une chercheuse s'inquiète aussi de la perte de confiance du public envers la santé publique.
Plusieurs se souviendront du Nouvel An de 2022, alors que le premier ministre du Québec, François Legault, avait annoncé au dernier moment l'imposition (pour une deuxième fois) d'un couvre-feu. Sauf exceptions, personne ne pouvait sortir entre 22 h et 5 h sous peine d'une amende de 1000 à 6000 $. Le couvre-feu avait pris fin le 17 janvier.
Il a été révélé plus tard dans les médias que la santé publique du Québec était incapable de justifier sur une base scientifique le recours à cette mesure. Dans un avis, la Direction de la santé publique de Montréal s'était même opposée à cette décision.
«La politisation de la santé publique» durant la pandémie et la façon dont elle a été utilisée peut engendrer de la méfiance envers notre système de santé, affirme Erin Strumpf, coauteure de l’étude du CIRANO intitulée «S'attaquer aux crises épidémiologiques: oui, mais à quel prix?».
«Si le gouvernement ''utilise’’ la santé publique comme une raison pour mettre en place certaines politiques — on se souvient du couvre-feu de janvier 2022 — il était justifié à ce moment-là par la santé publique qui nous recommandait de faire ça, mais la vérité qu’on a découverte plusieurs mois après, c’est que la santé publique n’a pas recommandé cette mesure», raconte Mme Strumpf.
«Dès que notre confiance envers la santé publique diminue, ça va être plus difficile [d’amener] les gens à se faire dépister et à s’engager dans les mesures de prévention des maladies chroniques», explique la chercheuse. Elle croit que la réputation de la santé publique a été grandement affaiblie.
Selon Mme Strumpf, pour «rattraper» un peu les gens méfiants, il serait pertinent de comprendre qui ils sont et quelle est leur perspective sur la santé publique.
De manière générale, la gestion de la pandémie par la santé publique a été un succès, soutient Mme Strumpf, qui ne nie pas les défis très importants qui sont survenus. «Si on confronte une nouvelle crise, une autre pandémie, il faut être capable de démontrer des succès du rôle constructif que la santé publique peut jouer», fait valoir Mme Strumpf.
La prévention et la promotion mises à mal
Dans les années prépandémiques, les dépenses en prévention étaient le second poste le plus important, derrière les dépenses en promotion de la santé, indique l'étude du CIRANO. En 2020-2021, elles ont été supplantées par les dépenses en monitorage des urgences et risques sanitaires ainsi que les crédits versés aux organismes communautaires.
«Réduire les dépenses en prévention et en promotion de la santé peut avoir eu des effets délétères sur la santé des populations», mentionne l'étude. On craint notamment une hausse des maladies chroniques qui n’auraient pas été détectées de manière précoce, ce qui pourrait en plus créer une pression additionnelle sur le système curatif.
Si c'était à refaire, est-ce que le gouvernement aurait pu tirer des avantages d’un investissement en prévention et promotion de la santé? Pas d'un point de vue monétaire, selon Mme Strumpf. «La prévention, c’est très rare que ça va nous sauver de l’argent dans l’avenir. Mais la prévention, la gestion efficace des maladies chroniques et la promotion de la santé, ça peut produire de la santé pour la population d'une façon plus efficace que les soins.» Autrement dit, ça peut sauver des vies, mais pas économiser des fonds publics.
Les dépenses en monitorage des urgences et risques sanitaires pour 2020-2021 représentent une augmentation de près de 7,80 $ par habitant par rapport à la valeur moyenne prédite sans la pandémie, soit une différence relative de plus de 3000 %.
Ce type de dépenses supplémentaires s'est fait au détriment des investissements en surveillance continue de la santé des populations, en promotion de la santé et en prévention des maladies.
Les dépenses en promotion de la santé ont été inférieures de 2 $ par habitant, soit une différence de 16 % en comparaison avec un scénario sans pandémie. Les dépenses en prévention des maladies ont été inférieures d’environ 2,30 $ par habitant, ce qui représente une différence de 30 %.
L'étude note par ailleurs des variations dans les sommes investies selon les régions sociosanitaires.
«Il faut se souvenir qu’on était en crise sanitaire, donc ce n’est pas si inattendu qu’il y ait un déplacement ou une substitution des financements», a déclaré Mme Strumpf, qui est également professeure titulaire au Département de sciences économiques et au Département d'épidémiologie, biostatistique et santé au travail de l'Université McGill.
Les effets néfastes sur la santé de la population dépendront surtout de la durée dans le temps de la diminution des sommes allouées. «On ne peut pas pour l’instant voir si la baisse du financement pour la promotion et la prévention de la santé a continué de baisser dans les années bien après la pandémie. On a juste les deux [premières années] de la pandémie», a précisé Mme Strumpf.
Elle a fait savoir qu'il y a eu des défis pour accéder aux données et elle espère qu'avec cette base il sera plus simple de les obtenir pour les prochaines années. L'étude du CIRANO a utilisé plusieurs sources de données de santé populationnelle et socioéconomiques dont l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes et d’autres données démographiques du Canada et du Québec.
Mme Strumpf apporte par ailleurs une nuance importante. «Quand on parle de dépistage pour le cancer ou d’autres mesures de prévention, ils ont baissé pour plusieurs raisons, ce n’est pas juste la diminution des financements. Les cliniques étaient fermées, les gens étaient incapables ou pas prêts à sortir de leur maison. Tout était bouleversé», dit-elle.
Elle cherche à savoir si ce financement sera rehaussé pour éviter les conséquences anticipées. Pour l'instant, cette question reste sans réponse.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne
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