«Mes mains, c'est mes yeux» - Gérard Pickering
Par Héloïse La Rue
Un homme aveugle ouvre sa clinique d'orthothérapie à St-Charles-Borromée.
Il y a vingt ans, Gérard Pickering, mécanicien spécialisé dans les petits moteurs, perdait complètement l'usage de la vue. À partir de ce jour, l'homme natif de Lavaltrie débutait «une autre vie», comme il le souligne lui-même. Après les coups durs qu'a entraînés son handicap - perte de son gagne-pain, annulation de son permis de conduire, recherche d'emplois infructueuse - il décide de mettre à profit sa nouvelle condition et de se lancer dans la massothérapie.
Des mains pour voir
Cette vocation lui est apparue naturellement, alors qu'il se mît à «détecter toutes sortes de bobos à la famille», trouvant des points de tension dans le cou de l'un ou le dos de l'autre, comme s'il avait fait ça toute sa vie.
Prenant conscience de son talent, Gérard Pickering décide de s'inscrire à l'Académie de massage scientifique de Terrebonne.
«Ça demandait des sacrifices à cause du coût des cours», raconte-il. «Mais la rencontre d'accueil m'a convaincu. Je me suis senti accepté malgré mon handicap.»
Le programme de 400 heures lui permet de devenir praticien, c'est-à-dire d'offrir des massages de détente à titre de membre de l'Association professionnelle des massothérapeutes. Il réalise toutefois que cette formation ne lui suffit pas pour exploiter son don à pleine capacité. Il se lance donc dans deux nouvelles années de formation qui le mèneront à l'obtention du diplôme d'orthothérapie, médecine alternative visant à «soulager les douleurs aux muscles et aux articulations».
Un élève modèle
Premier élève non voyant de l'Académie de Terrebonne, M. Pickering souligne l'ouverture de l'établissement à l'endroit de son handicap, ainsi que son intégration réussie au sein de la classe. «Mes collègues de classe se proposaient même pour m'accompagner à la salle de bain lors des pauses.» Il raconte aussi que le professeur le prenait toujours comme modèle pour ses démonstrations devant la classe, ce qui lui permettait de comprendre les techniques enseignées. «Je sentais ce que les autres voyaient!», image-t-il.
Au niveau théorique, il a pu compter sur le support de sa compagne, Manon Sourdif, qui a créé des cassettes audio contenant la matière de tous ses livres d'école. Un travail de longue haleine.
Sinon, en classe, c'est armé d'un magnétophone qu'il emmagasinait l'information requise pour son étude et ses travaux.
Gérard Pickering, orthothérapeute
L'ouverture récente de sa clinique est donc l'aboutissement de nombreuses années d'efforts académiques, mais également de démarchage dans le labyrinthe administratif permettant le démarrage de sa propre entreprise.
Aujourd'hui, sa détermination porte fruit alors qu'il se développe une clientèle régulière pour ses services d'orthothérapie, de kinésithérapie et de massothérapie.
Et quant aux bénéfices de se voir offrir ces services de massothérapie par un praticien non voyant, les plus pudiques y verront un avantage évident.
En bref
À Québec, un centre de massage tenu par des non-voyants a ouvert ses portes en 2009. En Asie, la pratique de la massothérapie par des personnes aveugles connaît une grande popularité, qui commence à s'étendre en Occident.
En Chine, l'une des techniques de massage, le Amma, fut institutionnalisée au milieu du XVIIIe siècle comme une profession pour aveugle, avec pour impact que la majorité des praticiens gradués sont aveugles. (- Source fédération québécoise des massothérapeutes)
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