Une forêt centenaire du N.-B. risque d'être détruite pour agrandir un parc industriel


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Par La Presse Canadienne, 2024
LORNEVILLE — À Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, une épinette datant probablement de l'époque du célèbre explorateur français Samuel de Champlain fait partie d'une zone forestière menacée d'asphaltage pour faire place à un nouveau type d'habitat: l'agrandissement d'un parc industriel à l'ouest de la ville portuaire.
Le conseil municipal de Saint-Jean a récemment approuvé les plans du parc industriel de Spruce Lake, décrit sur le site web du pôle d'affaires comme un «écosystème diversifié» d'entreprises. Les scientifiques, quant à eux, affirment que l'épinette rouge, probablement âgée d'environ 400 ans, est l'un des plus vieux arbres de la province, et que la forêt ancienne dans laquelle elle se trouve est un morceau d'histoire que la ville devrait protéger.
«Lorsque Samuel de Champlain a remonté la baie de Fundy et est entré dans ce qui est aujourd'hui le port de Saint-Jean au début des années 1600, c'est à peu près à la même époque que cet arbre a commencé à pousser», a expliqué Chris Watson, chercheur au département de physique de l'Université du Nouveau-Brunswick. C'est Watson, un résident de Lorneville, la petite communauté côtière de 800 habitants où le parc industriel doit être agrandi, qui a prélevé un échantillon de bois de l'arbre afin d'en déterminer l'âge.
La semaine dernière, la Ville de Saint-Jean a voté à 10 voix contre 0 en faveur de l'agrandissement du parc industriel. La mairesse Donna Reardon a déclaré lors de l'assemblée que, bien que le conseil ait entendu les préoccupations des résidents, il devait tenir compte du «port à la croissance la plus rapide en Amérique du Nord».
«La croissance n'est pas facile, a-t-elle ajouté. C'est toujours difficile, car nous n'y sommes pas habitués à Saint-Jean. Il faut donc aller de l'avant.»
L'évaluation environnementale ne fait pas l'unanimité
Une étude d'impact environnemental réalisée par une société de conseil a révélé à la Ville que le site d'agrandissement avait une «valeur relativement faible, tant sur le plan économique qu'écologique». Dillon Consulting n'a pas répondu à notre demande de commentaires.
Ben Phillips, scientifique au laboratoire de dendrochronologie de la forêt acadienne de l'Université Mount Allison, conteste l'évaluation de Dillon selon laquelle la zone a une faible valeur écologique. Dans une lettre adressée au conseil municipal de Saint-Jean, il a soutenu que la forêt «contient des arbres anciens qui rivalisent avec les plus vieux du Nouveau-Brunswick».
«Âgée d'au moins 388 ans, la plus vieille épinette rouge de la zone industrielle proposée de Spruce Lake est désormais confirmée parmi un petit groupe d'épinettes les plus vieilles du Nouveau-Brunswick», a-t-il écrit.
«Cet arbre a probablement poussé comme un jeune arbre en 1625 et a mis de 10 à 20 ans pour atteindre la hauteur à laquelle l'échantillon de carottes a été prélevé. Cela donne à cet arbre un âge réel d'environ 400 ans. Il est possible que seuls trois ou quatre arbres du Nouveau-Brunswick échantillonnés précédemment dépassent cet âge. (…) Beaucoup de ces arbres poussaient sur ce site lorsque les colons sont arrivés et ont commencé les opérations forestières à la fin des années 1700.»
Une zone de près de 15 mètres de large a été défrichée dans le site boisé pour la construction d'une nouvelle route; des travaux qui, selon M. Phillips, auraient pu entraîner l'abattage de plusieurs arbres très vieux. D'autres arbres mesurés dans la même zone, a-t-il noté, «étaient également d'un âge exceptionnel».
«Il est surprenant que cette forêt ait survécu à la hache, puis à la tronçonneuse.»
Aucun projet n'a encore été annoncé pour le nouveau site. L'autorité finale en matière d'évaluation d'impact environnemental appartient à la province, a expliqué Mme Reardon dans un courriel. Ni le ministère de l'Environnement ni l'autorité de développement régional n'ont répondu aux demandes de commentaires.
Dans la forêt de Lorneville, M. Watson a posé la main sur l'épinette rouge de près de 400 ans et a levé les yeux. La cime de l'arbre était tordue, noueuse, ses branches drapées de lichen vert clair. «C'est ce qu'on appelle la barbe du vieil homme», dit-il en riant.
«C'est magique. C'est spectaculaire. C'est tellement unique», continue M. Watson, regardant autour de lui le sol forestier couvert de mousse, de lichens, de graminées variées et de fougères de près d'un mètre de long. «Et le simple fait de savoir que certaines de ces zones sont restées intactes pendant des centaines d'années (…) c'est incroyable de pouvoir se promener dans ces bois.»
L'agrandissement du parc industriel ne devrait pas avoir lieu, a-t-il déclaré, ajoutant qu'il n'était pas contre la croissance économique; il pense que d'autres zones peuvent être développées sans détruire un écosystème unique.
«Laissons-les tranquilles. (…) Il est très rare de voir, surtout sur les terres de la Couronne, des forêts ne serait-ce que centenaires. Alors, oui. Il faut absolument les laisser tranquilles.»
Hina Alam, La Presse Canadienne