Un étudiant iranien raconte comment il a fui pour se réfugier au Canada


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Par La Presse Canadienne, 2024
Arash Ghaderi ne peut pas oublier le moment où sa femme l'a réveillé en larmes pour lui annoncer que la guerre venait de commencer.
M. Ghaderi, doctorant de 35 ans à l'Université de l'Alberta, et sa femme se sont rendus en Iran le mois dernier pour rendre visite à leur famille. Le couple était encore sur place lorsque le conflit entre Israël et l'Iran a éclaté le 13 juin.
«Dès le premier jour de la guerre, nous avons entendu des bombardements et des avions de chasse voler à ras du sol. C'était terrifiant», a-t-il expliqué lors d'une entrevue.
«Les membres de la famille de ma femme, ses nièces et ses neveux, étaient là et pleuraient (…) Le bruit était horrible, a-t-il raconté à propos de leur expérience à Zanjan, une ville située à environ 300 kilomètres au nord-ouest de Téhéran. J'ai fait de mon mieux pour me contrôler et calmer ma femme, mais au fond de moi, j'étais sous le choc et je me sentais tellement mal. J'avais envie de vomir.»
M. Ghaderi fait partie des nombreux Iraniens vivant au Canada qui ont été touchés par la guerre qui a éclaté lorsqu'Israël a attaqué des installations nucléaires et de hauts dirigeants militaires iraniens, et que l'Iran a riposté par ses propres frappes. Un cessez-le-feu a été annoncé mardi, après que les États-Unis ont lancé des frappes contre des installations nucléaires clés en Iran.
Plus tôt cette semaine, Téhéran a déclaré que 606 personnes en Iran avaient été tuées et 5332 blessées dans le conflit. Au moins 28 personnes ont été tuées et plus de 1000 blessées en Israël, selon des responsables de ce pays.
Ottawa a exhorté les Canadiens en Iran à quitter le pays s'ils peuvent le faire en toute sécurité, soulignant que sa capacité à fournir des services consulaires dans le pays est «extrêmement limitée».
M. Ghaderi a indiqué que lui et sa femme avaient décidé de quitter l'Iran par un poste frontalier terrestre après l'annulation de tous les vols au début du conflit. Ils ont voyagé sept heures en fourgonnette avant de traverser la frontière turque. Tous les vols intérieurs en Turquie étaient complets pendant des jours, ils ont donc dû prendre plusieurs bus entre les villes turques pendant environ 28 heures pour atteindre Istanbul.
«Je ne sentais plus mes jambes», a-t-il raconté à propos du long voyage.
Arash Ghaderi et sa femme ont finalement pris l'avion pour Edmonton depuis Istanbul via Paris et Toronto, atterrissant le 23 juin.
«J'étais heureux en chemin, d'un côté, qu'au moins ma femme et moi soyons en sécurité maintenant, a-t-il ajouté. D'un autre côté, je me sentais tellement mal car mon petit frère est toujours en Iran et mes parents y sont.»
Des étudiants canadiens bloqués en Iran
Sara Shani, présidente de l'Association des étudiants iraniens de l'Université de l'Alberta, a expliqué avoir connaissance d'une quinzaine d'étudiants de l'université bloqués en Iran alors qu'ils visitaient leur pays d'origine.
«Ils sont bloqués chez eux et (…) depuis le cessez-le-feu, les vols ont techniquement repris, mais ils restent très limités», a-t-elle indiqué.
Mme Shani a indiqué que certains des quelque 500 étudiants iraniens de l'université sont déjà confrontés à des difficultés financières, leurs familles restées au pays étant incapables de les soutenir, soit parce qu'elles ont perdu leurs revenus et leurs biens pendant le conflit, soit parce qu'elles ne peuvent pas transférer d'argent au Canada.
«Lorsque la coupure d'Internet a été plus ou moins effective en Iran (…) il était extrêmement difficile pour les familles d'envoyer de l'argent. De plus, de nombreuses entreprises ont fermé pendant la guerre, a-t-elle ajouté. Et certaines ont même été détruites par les frappes aériennes israéliennes (…) l'économie iranienne est aujourd'hui plus fragile qu'avant.»
M. Shani a confié avoir eu du mal à contacter sa propre famille en Iran pendant la guerre.
«Beaucoup d'entre nous ne savions pas si nos familles étaient en sécurité», a-t-elle dit.
L'Iran est une source importante d'étudiants internationaux au Canada : les données gouvernementales montrent que plus de 8000 permis d'études ont été accordés à des étudiants de ce pays en 2023.
«La plupart des étudiants iraniens au Canada ont récemment quitté leur pays pour étudier ici, nos liens avec l'Iran sont donc encore très forts, a expliqué Mme Shani, arrivée au Canada en 2023 pour poursuivre une maîtrise en informatique. Nos familles sont de retour là-bas et je pense que, émotionnellement, nous sommes toujours en Iran.»
La communauté éprouve également des sentiments mitigés face aux frappes contre la direction du Corps des gardiens de la révolution islamique, qui «continue d'être une source d'oppression pour les Iraniens, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays», a expliqué Ali Nejati, président de l'Association des étudiants iraniens du Collège Humber à Toronto.
«Beaucoup d'entre nous ressentent un soulagement face à l'affaiblissement d'une branche aussi violente du régime. Nous espérions que justice soit rendue devant un tribunal, que l'ampleur de leurs crimes soit révélée et qu'ils répondent de leurs actes par les voies juridiques internationales, a-t-il écrit dans un communiqué. Nous reconnaissons également que la guerre n'est jamais une voie souhaitable. Nombre de nos membres s'inquiètent des conséquences d'une nouvelle escalade.»
— D'après des informations de l'Associated Press
Maan Alhmidi, La Presse Canadienne