Plus de 428 000 Québécois quittent les urgences sans avoir été soignés


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTREAL — Des centaines de milliers de Canadiens quittent chaque année les urgences sans avoir été soignés, une tendance qui continue de prendre de l'ampleur. Le Québec est la province qui compte le plus de patients qui repartent à la maison sans soins, et de très loin.
Selon un rapport de l'Institut économique de Montréal (IEDM) publié jeudi, en 2024-2025, plus de 428 000 Québécois se sont présentés aux urgences et sont repartis sans avoir été traités. Cela représente 11,6 % du nombre total de visites aux urgences. Le Québec, deuxième province la plus peuplée au pays, est la seule des quatre grandes provinces à avoir un ratio de départ avant prise en charge qui est supérieur à 10 %.
L’Ontario affiche la plus faible proportion de patients quittant les urgences sans avoir été soignés, avec un taux de 4,9 %, ce qui équivaut à près de 293 000 Ontariens. À l’inverse, l’Île-du-Prince-Édouard présente la proportion la plus élevée, à 14,2 % pour un total de 13 000 patients.
Dans toutes les provinces, la situation s'est empirée avec toujours plus de patients qui repartent sans soins. Au Québec, cette proportion a bondi de 8,8 % depuis 2019, soit la moins pire des augmentations au pays. À l'autre extrême du classement, l'Alberta a connu une hausse de 77 %; le Manitoba 88 %; et Terre-Neuve-et-Labrador 94 %. La moyenne nationale de variation s'établit à 35,5 %.
Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM et auteure du rapport, n'interprète pas nécessairement cet indicateur comme un signe encourageant pour le Québec. «Ce que ça veut dire, c'est que peut-être l'augmentation est plus faible au Québec sur cinq ans comparée à d'autres provinces, mais ça veut aussi dire qu'au Québec c'était plus élevé en 2019 que les autres. [...] Ce n'est pas qu'il fait mieux, c'est parce que c'était déjà très élevé, les autres ont simplement plus rattrapé le Québec», explique-t-elle.
Symptôme du manque d'accès à la première ligne
À l'échelle du Canada, ce sont plus de 1,2 million de patients qui ont quitté les urgences sans avoir été soignés l’année dernière, soit environ une visite sur treize. Ces données excluent les patients de la Saskatchewan et ceux du réseau Vitalité Santé du Nouveau-Brunswick puisque les autorités sanitaires n’ont pas fourni leurs données de 2024 à temps pour la publication de l'étude.
C'est la première fois que l'IEDM analyse les données canadiennes sur cette réalité et le rapport en conclut qu'il s'agit d'une conséquence du manque d'accès aux soins au pays.
«Ce n'est pas juste un problème d'urgence. Ce qui se passe, c'est que les temps d'attente dans les urgences sont un symptôme de plusieurs autres problèmes, entre autres les problèmes d'accès à la première ligne. Et ce qu'on voit, c'est que c'est de plus en plus difficile d'avoir accès à un médecin de famille. On s'entend qu'il y a vraiment beaucoup de Québécois et des Canadiens qui n'arrivent pas à avoir accès à la médecine de première ligne. Quand on a beaucoup de patients qui n'ont pas accès à la première ligne, ils n'ont pas le choix de se tourner vers les urgences», décortique Emmanuelle B. Faubert.
C'est la raison pour laquelle environ la moitié des patients qui repartent des urgences sans soins sont des P4 et des P5, c'est-à-dire des patients avec un niveau de priorité peu urgent ou non urgent. Il peut s'agir par exemple d'une personne avec une coupure dont le saignement est contrôlé, mais nécessitant des points de suture (P4) ou une personne qui a besoin de faire changer son pansement (P5).
«Peu importe que ce soit pour un renouvellement de prescription, des points de suture, un bras cassé ou une crise cardiaque, quelqu'un qui quitte l'urgence sans être soigné, c'est quelqu'un qui tombe dans les craques du système de la santé», commente Mme B. Faubert.
Les patients qui partent sans avoir été évalués par un médecin peuvent sous-estimer la gravité réelle de leur situation. Le rapport indique que leur état de santé risque de se dégrader, augmentant les risques de complications, voire de décès.
Pour améliorer la situation, l’IEDM recommande notamment d’accroître le recours aux cliniques dirigées par des infirmières praticiennes et d’élargir le champ d’exercice des pharmaciens.
Sur ces aspects, Mme B. Faubert estime que le Québec s'en va dans la bonne direction. La province a entre autres élargi les champs de compétences des pharmaciens, mais selon l'experte, il faudrait l'étendre encore plus et partout au Canada. Elle rappelle que près d'une personne sur dix se rend à l'urgence pour des raisons de prévention, souvent liées à des enjeux de prescription.
«Si les pharmaciens sont plus en mesure de renouveler et de prescrire [...] ça peut non seulement alléger le fardeau sur la première ligne pour les médecins, mais aussi éviter que les gens doivent se présenter à l'urgence pour des problèmes de prescription», conclut-elle.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne