Ottawa referme l'échappatoire fiscale qui a mené au phénomène des «chauffeurs inc.»

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Par La Presse Canadienne, 2025
Ottawa a décidé de sortir le sabot de Denver fiscal pour mettre un frein au camionnage à rabais qui est à l’origine de multiples cas de conduite dangereuse dans l’industrie du transport lourd, en plus de créer une concurrence déloyale dans le secteur.
Le ministre des Finances, François-Philippe Champagne, referme l’échappatoire fiscale qui permettait jusqu’ici l’existence de la pratique qu’on a appelée «chauffeurs inc.» qui permet à des camionneurs incompétents et mal encadrés de prendre le volant à rabais.
En 2011, l’Agence du revenu du Canada (ARC) avait cessé d’imposer des pénalités aux entreprises qui ne déclaraient pas les honoraires versés avec un feuillet T4A. Certaines entreprises de camionnage avaient profité de ce moratoire pour embaucher des chauffeurs sans déclarer leurs honoraires sous prétexte qu’il s’agissait de travailleurs autonomes. De leur côté, ces chauffeurs ne déclaraient pas leurs revenus pour éviter de payer de l’impôt.
Échapper aux charges sociales
Ces entreprises, profitant du statut de travailleur autonome de ces chauffeurs, ne payaient pas les charges sociales qui sont liées aux employés salariés, ce qui leur permettait de réduire leurs tarifs et de faire une concurrence déloyale aux entreprises de camionnage œuvrant dans les normes. Le phénomène des «chauffeurs inc.» a fait son apparition en Ontario avant de s’étendre au Québec, où des employeurs n’auraient pas prélevé les différentes cotisations sur la masse salariale, comme le Régime des rentes, la CNESST et autres prélèvements, comme ceux des assurances collectives ou du régime de retraite de l’employeur.
L’ARC précise dans son communiqué qu’en classant «à tort et délibérément leurs camionneurs comme des travailleurs indépendants, plutôt que comme des employés», les entreprises fautives «nuisent à la concurrence dans ce secteur, créent des inégalités en pénalisant les entreprises qui respectent les règles et privent les travailleurs des pensions et des avantages sociaux auxquels ils ont droit».
Le moratoire est donc levé pour l’industrie du camionnage et le ministre Champagne annonce que le budget qu’il déposera la semaine prochaine contiendra une nouvelle enveloppe de près de 20 millions $ par année pour l’ARC afin de mettre en œuvre un programme ciblé pour régler les problèmes de non-conformité liés aux entreprises de prestation de services personnels et à la déclaration des honoraires de service dans l’industrie du camionnage.
Contrôle de la classification
Le ministre entend également demander une modification aux lois de l’impôt sur le revenu et sur la taxe d’accise afin de permettre à l’ARC de fournir des renseignements à Emploi et Développement social Canada pour permettre à ce ministère de s’attaquer plus efficacement à la mauvaise classification des chauffeurs dans l’industrie du camionnage.
«Le budget de 2025 s’attaque au modèle Driver Inc. (chauffeurs inc.), élimine les échappatoires, rend nos routes plus sûres et défend les conducteurs et les entreprises qui respectent les règles», a déclaré le ministre Champagne par voie de communiqué. «Nous visons à garantir aux travailleurs les avantages auxquels ils ont droit, à améliorer la sécurité pour tous les Canadiens et veiller à ce que chacun paie sa juste part.»
Le Bloc québécois, qui avait mené un fort lobbying à Ottawa sur cette question, s’est réjoui de la décision du ministre Champagne. Le porte-parole bloquiste en matière de transports, Xavier Barsalou-Duval, a fait valoir qu’en agissant sur l’échappatoire fiscale, «Ottawa donne suite à une des 10 demandes que le Bloc a formulées avec l’industrie en octobre. Il reste toutefois du travail à faire pour réellement rendre nos routes sécuritaires, en éliminant notamment le droit pour les immigrants temporaires de travailler comme chauffeurs incorporés dans ce secteur, en les limitant au statut de salariés uniquement et en ouvrant une enquête officielle sur l’exploitation des chauffeurs dans le secteur du camionnage, pour mettre un terme une bonne fois pour toutes au phénomène des chauffeurs au rabais.»
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne