Manquer d'eau au Québec en 2025: les solutions tardent à être implantées au Nunavik

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Par La Presse Canadienne, 2025
PUVIRNITUQ — Au Québec, nous ouvrons le robinet d’un geste machinal et regardons l’eau s’écouler dans l’évier sans trop s’en soucier. La réalité est tout autre au Nunavik où le système d'approvisionnement en eau est confronté à une panoplie de problèmes: intempéries, équipement désuet, rareté de main-d'œuvre, etc. Certains seraient portés à dénoncer un manque de volonté politique, or les solutions ne sont pas simples à réaliser.
Les pénuries d'eau sont fréquentes au nord du 55e parallèle. Dans 13 des 14 villages, il n'y a pas de système d'aqueduc ni d'égout, entre autres en raison du pergélisol qui est omniprésent à certains endroits.
La côte ouest (baie d'Hudson) est plus problématique que la côte est (baie d'Ungava). Les phénomènes météorologiques y sont plus fréquents et plus violents et cela est appelé à s'empirer avec les changements climatiques, explique Hossein Shafeghati, directeur des travaux publics municipaux à l'Administration régionale Kativik (ARK).
Presque partout, avec quelques variantes, la distribution de l'eau se fait ainsi: il y a d'abord une station de pompage qui pompe l'eau d'un lac ou d'une rivière; ensuite l'eau est acheminée à la station de traitement; finalement les camions-citernes récupèrent l'eau potable et la distribuent dans les réservoirs individuels rattachés à chaque bâtiment. Si tout va bien, les camions passent au moins une fois par jour dans chaque habitation.
Pour les eaux usées, c'est aussi un camion qui vient les collecter dans chaque maisonnée, qui sont par ailleurs munies d'un système de lumières pour informer de l'état des réservoirs. Les villages ont chacun leur système; la lumière rouge peut vouloir dire que le réservoir des eaux usées est plein, par exemple. Les eaux usées sont ensuite déversées dans un bassin d'épuration naturel.
Il y a certains établissements prioritaires qui sont reliés à la station de traitement du village, comme l'hôpital de Puvirnituq. Sans ce tuyau, il faudrait mobiliser cinq camions par jour pour alimenter l’hôpital, estime Peter Napartuk, gestionnaire municipal à Puvirnituq. Ce lien direct n'empêche toutefois pas l'hôpital de manquer d'eau fréquemment, que ce soit en raison des conditions météo ou de bris mécanique.
Infrastructure inchangée depuis leur construction
Le manque d'accès à l'eau se perpétue année après année au Nunavik. L'année 2022 aura été particulièrement difficile avec 13 pénuries, selon des données partielles obtenues en vertu d'une demande d'accès à l'information auprès de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik.
«Je dirais que ça se produit chaque année, mais dans des circonstances différentes, comme le manque de chauffeurs de camion, le manque d'équipement ou le gel des tuyaux. C'est toujours l'une de ces trois causes qui provoquent une crise d'eau», affirme le maire d'Inukjuak, Bobby Epoo.
Le printemps dernier, le village de Puvirnituq a vécu une pénurie d'eau sans précédent. L'état d'urgence a été décrété par le conseil municipal après qu'un incendie se fut déclaré dans une habitation, sans eau en quantité suffisante pour l'éteindre. «Ç'a été la pire expérience que nous avons vécue», confie M. Napartuk, qui en est ressorti épuisé professionnellement.
«Il y a beaucoup à dire sur le sujet, souffle-t-il. En gros, nous avons un réseau de tuyaux souterrains qui alimente la station de pompage et qui va jusqu'à l'usine de traitement. Il y a toujours un tuyau qui gèle, car ce réseau souterrain et tous les équipements datent du début des années 1990. Ce sont des équipements très anciens et c'est pourquoi, depuis une dizaine d'années, de plus en plus de tuyaux se retrouvent gelés», détaille M. Napartuk.
M. Epoo dénonce aussi les infrastructures désuètes. Il est convaincu qu'un village va vivre prochainement un important bris de service, car les usines de traitement et stations de pompage des communautés n'ont pas été entretenues. «Depuis leur construction, y compris ici, nous n'avons jamais changé ni remplacé les tuyaux», précise-t-il.
Former une main-d'œuvre qualifiée
La rareté de la main-d'œuvre est un autre obstacle important au bon fonctionnement de la gestion de l'eau.
«Parfois, dans un village, il y a une personne qui a beaucoup d'expérience qui se retrouve à diriger le village, et qui est capable d'obtenir de meilleurs résultats. Dans certains villages, malheureusement, cela fait défaut. Cette capacité doit être développée progressivement», mentionne Hossein Shafeghati de l'ARK.
«La gestion municipale devra devenir un savoir générationnel. Ils ont fait d'énormes progrès pour rattraper leur retard, mais cela prend du temps», ajoute-t-il.
Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, veut être prudent en parlant de solutions parce qu'il ne veut pas imposer aux Autochtones la vision du Sud du Québec.
«Je me mets à la place des gens qui vivent dans ces communautés et je comprends très bien la frustration. [...] Mais il faut comprendre le niveau de responsabilité avec les Inuit avec qui on a une convention de respect. On respecte l'autorité de l'ARK et de Makivvik, on travaille avec eux», fait valoir M. Lafrenière. L'ARK est comparable à une MRC au Québec et Makivvik est un organisme qui représente les Inuit, créé pour administrer les fonds provenant de la Convention de la Baie-James.
Il y a certaines pistes de solution que le gouvernement du Québec s'affaire à mettre en place. Par exemple, il a constaté que les municipalités qui ont un mécanicien sur place s'en sortent beaucoup mieux. «Parce qu'elles ne sont pas obligées d'attendre qu'un mécanicien parte d'un autre village ou du Sud du Québec pour aller dans le Nord quand il y a un bris sérieux. Avec mes collègues en enseignement supérieur, on a offert de [créer] des cours de formation et proposé qu'il y ait de la formation pour l'entretien des véhicules ou même pour l'entretien des stations d'eau», indique le ministre.
Un système souterrain, réalisable?
Depuis le début des années 2000, plusieurs villages réclament du financement pour implanter des conduites souterraines (là où le sol le permet). Plus les années passent, plus le coût pour une telle infrastructure explose.
«Si vous souhaitez installer un réseau de tuyaux au Nunavik dès maintenant et moderniser toutes les infrastructures existantes afin de les rendre résilientes aux risques, il faudrait environ 2 milliards $», évalue M. Shafeghati.
En 2023, une nouvelle entente a été signée avec l'ARK pour laquelle le gouvernement du Québec a accordé 163 millions $ sur cinq ans pour l'amélioration des infrastructures municipales et de voirie ainsi qu'à l'acquisition et à la réparation de matériel dans les villages nordiques.
M. Shafeghati affirme que cette enveloppe «a fait du chemin, mais que c'est loin d'être suffisant pour répondre aux besoins». À Puvirnituq seulement, il estime qu'il faudrait 150 millions $ simplement pour adapter le système de transport avec les camions afin qu'il résiste aux risques.
Deux rapports sur le système d'eau au Nunavik sont attendus. Prochainement, une étude sur Puvirnituq établira ce qu'il faut pour résoudre le problème d'approvisionnement en eau de cette communauté et combien cela coûtera afin d'éviter qu'une crise comme celle du printemps ne se reproduise.
À plus long terme, la Société du Plan Nord réalisera un rapport sur les coûts et la faisabilité d'un réseau de tuyaux souterrains au Nunavik. «Construit et exploité correctement, oui, ça peut résoudre le problème. Ça peut également entraîner le gel d'un plus grand nombre de tuyaux, il y a donc des nuances à prendre en compte», commente M. Shafeghati. Tout de même, il n'attendrait pas «un seul jour» s'il avait les fonds pour réaliser les travaux. «Il n'y a aucune hésitation de notre côté», affirme-t-il.
Le ministre Lafrenière veut explorer d'autres possibilités. Il se méfie, dit-il, des solutions miracles. «Est-ce que, par exemple, pour les écoles et les hôpitaux, il n'y aurait pas lieu d'avoir des puits qui pourraient être forés pour qu'ils soient alimentés en eau directement sans passer par un camion?», se demande-t-il. Ces établissements sont priorisés, mais cela fait en sorte que les maisons sont délestées, pointe M. Lafrenière. Chose certaine, il insiste sur le fait qu'il veut trouver les solutions avec les Inuit.
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La journaliste Katrine Desautels a été soutenue par la Fondation Michener, qui lui a attribué la bourse Michener-Deacon pour le journalisme d’enquête en 2025, afin qu’elle documente les répercussions du manque d’accès à l’eau courante dans les communautés autochtones du Nunavik. Cet article est le premier d’une série de quatre reportages.
Katrine Desautels, La Presse Canadienne