Les sous-sols deviendront de plus en plus rares dans les maisons neuves


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Les sous-sols seraient-ils en voie de disparition dans les constructions neuves?
Bien que les sous-sols existants soient là pour rester, les maisons sur dalle, sans sous-sol, commencent à se multiplier dans le paysage immobilier, surtout depuis le dernier déluge, le 9 août 2024, alors que la tempête Debby avait déversé 157 mm d’eau à l’aéroport de Dorval et plus de 180 mm dans les Laurentides et Lanaudière en quelques heures.
Rencontré sur le chantier d'une maison unifamiliale à Varennes, en Montérégie, où le propriétaire a fait couler une dalle de béton pour sa résidence qui n’aura pas de sous-sol, l’entrepreneur Pascal Dubé raconte que la construction sur dalle «c'est de moins en moins rare. Avec les inondations du mois d’août, l'année passée, il n'y en a pas de problème avec une dalle.»
Toujours des problèmes
«Le sous-sol, ce n'est pas de savoir lequel va couler ou s’il va couler, c'est quand il va couler, poursuit-il. C'est sûr qu'un sous-sol coule un jour. C'est sûr qu’il va y avoir une fissure, c’est sûr qu'il va y avoir une infiltration d'eau. On est tout le temps en train de rénover des sous-sols parce qu'ils sont humides, ils sont moisis, ils ont des infiltrations, il y a des fissures, il y a des craques. Il y a tout le temps des problèmes avec les sous-sols.»
«C'est vrai que la construction sur dalle, c'est de plus en plus fréquent», confirme Marco Lasalle, directeur des services techniques à l’Association des professionnels en construction d’habitation du Québec (APCHQ). Il explique que le sous-sol habité est une particularité du nord-est de l’Amérique, surtout au Québec, en Ontario et en Nouvelle-Angleterre. «Au départ, quand les Français bâtissaient les maisons directement sur le sol et qu'il faisait froid, ce n'était pas super confortable. À un moment donné, les Anglais nous ont montré à creuser et à mettre un plancher de bois par-dessus. Là, on ne dormait plus sur un bloc de glace. On a décidé de mettre nos patates là-dedans pour passer l'hiver et tout ça. Et à un moment donné, on a décidé de les creuser en disant que c'est du pied carré facilement aménageable.»
Tout comme Pascal Dubé, il souligne que les problèmes d’un bâtiment sont beaucoup moins souvent attribuables aux murs extérieurs ou au toit qu’au sous-sol et que ce sont «toujours des travaux qui coûtent assez cher. Refaire un drain de fondation, on est facilement à 250 $ du pied linéaire. Avec tout ce qui s’ensuit: refaire le pavage, refaire les plates-bandes, tout ça».
Une approche plus écologique
«Les gens qui ont vécu des inondations, qui ne sont pas des premiers acheteurs, voient vraiment l'intérêt de ne pas avoir cette anxiété d'avoir un sous-sol qui risque d'inonder, soit par les eaux de surface ou les refoulements d'égouts», explique pour sa part Emmanuel Cosgrove, directeur d’Écohabitation, un OBNL dont la mission est de favoriser l’approche la plus écologique possible lors de la construction ou de la rénovation d’une maison. L’organisme prône depuis longtemps la construction sur dalle «surtout quand on crée un petit dénivelé d'environ un pied du sol autour de la maison, qu’on est monté sur une petite butte. On a là une maison à très faible risque d'inondation».
La construction sur dalle doit quand même se frayer un chemin au travers des idées préconçues, reconnaît-il. «Il y a beaucoup d'entrepreneurs qui croient que le sous-sol est intégré au code (du bâtiment) et que c'est obligatoire, alors que c’est faux. Il y a énormément de fausses perceptions des dalles sur sol qui sont la fondation la plus fréquente et de loin ailleurs dans le monde. Creuser sous le niveau du sol nous expose à plusieurs risques de gaz provenant des sols comme le radon, mais surtout à des risques d'humidité et d'inondation et comme c'est un thème très récurrent ces temps-ci, les sous-sols inondés, les propriétés désassurées pour les risques liés à l'eau, les gens qui construisent à neuf regardent vers des alternatives et souvent ils tombent sur la solution de la dalle dont Écohabitation fait la promotion depuis plus de 20 ans.»
L’intérêt d’Écohabitation dépasse largement les questions d’inondation ou de radon. «Le béton, explique M. Cosgrove, est de loin le matériau qui émet le plus de gaz à effet de serre dans toute l'industrie de la construction.» Le fait de ne pas construire un sous-sol peut réduire jusqu’à 60 % la quantité de béton requise et, par extension, jusqu’à 40 % le bilan carbone de la construction d’une maison.
Retour au vide sanitaire
Marco Lasalle émet toutefois une réserve importante face à la construction sur dalle. «Ce n'est pas une situation "one size fits all". Par exemple, si je n'ai pas de sous-sol et que je suis sur le bord d'une rivière qui peut déborder, je ne m'aide pas. Je viens d’aggraver mon malheur parce que si la rivière déborde, ce n'est pas un sous-sol qui va être inondé, c'est tout mon rez-de-chaussée. Cuisine, salle de bain, tout l’espace de vie.»
Mais le sous-sol ne sera-t-il pas inondé? «Ce n'est pas une bonne idée non plus d'aller faire un sous-sol en zone inondable. Je pourrais plutôt faire ce qu'il y avait à l'époque, un vide sanitaire, un espace libre sous le plancher du rez-de-chaussée où, s’il y a de l'eau, ça va juste être de la roche ou de la terre qui va être mouillée. On peut y entreposer des choses qui ne craignent pas l’eau, comme un kayak, mais on ne veut pas l’aménager. Si la rivière sort de son lit, elle va aller dans le vide sanitaire.»
En milieu urbain, toutefois, le portrait est différent. «Avec les déluges, les systèmes d'égouts pluviaux des municipalités ne fournissent plus. Les précipitations sont trop importantes sur une courte période, l’égout n'est pas capable de le prendre et là, il y a des refoulements et un refoulement d'égout, c'est toujours dans le sous-sol et très rarement au rez-de-chaussée. S'il n'y a pas de sous-sol, il n'y a pas de refoulement d'égout. Si ça se rend jusqu’au rez-de-chaussée, c’est la rue au complet qui est inondée. Possible mais peu probable.»
Les sous-sols moins nécessaires?
Pascal Dubé, lui, ne se fait pas d’illusions. Il a beau être en train de construire en pleine zone agricole, loin de toute rivière et des égouts pluviaux, son client ne serait pas à l’abri avec un sous-sol. Pourquoi? Parce que l’an dernier, il a construit sa propre maison de l’autre côté de la rue et elle a un sous-sol. «J'ai été inondé le 9 août. J'étais en train de faire le sous-sol, j'avais un nouveau drain, une nouvelle valve anti-retour, mais ç'a monté. Parce qu'à un moment donné, quand le sol est plein, ça remonte autour des tuyaux dans le sol et ça ressort.»
Sachant cela, pourquoi en a-t-il construit un? Il regarde la dalle de béton sur laquelle il se trouve et répond: «Si j'avais pu faire ça, je l'aurais fait, mais avec trois enfants j'avais besoin d'un sous-sol. Ici, ils ont seulement un enfant», laisse-t-il tomber.
Et ça aussi, ça fait partie des nouvelles réalités susceptibles de favoriser la construction sur dalle, explique Marco Lasalle. «On est de moins en moins nombreux dans les maisons. On a moins besoin des sous-sols. Avant, dans une maison, on était une famille de quatre. Maintenant, chaque famille a deux maisons avec les séparations. On a peut-être moins besoin des sous-sols, sauf pour serrer des vieux livres et des choses qui vont sentir le moisi.»
Coûts et économies
Y a-t-il un salut pour les sous-sols existants? Oui, si on est prêt à piger profondément dans ses poches, dit Emmanuel Cosgrove. «Même les maisons neuves n'ont pas de fondations étanchéisées. Un sous-sol qui limite le risque d'infiltration va coûter des dizaines de milliers de dollars de plus. Donc, c'est rarement quelque chose qui est demandé à l’entrepreneur dans une soumission.»
Il fait valoir que l’argent économisé par le fait de couler une dalle plutôt que de faire un sous-sol peut être transféré au reste de la maison et il espère «que les assureurs vont suivre avec des rabais, par exemple, pour des maisons sur dalle, vu leur résilience innée. Parce que si on limite le risque d'inondation, on devrait être couvert, mais sans payer le prix de quelqu'un qui est à haut risque avec un sous-sol qui n'est pas étanche.»
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne