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Les conseillers en orientation doivent gérer les craintes de leurs clients sur l’IA

durée 18h30
5 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Craignez-vous d’être remplacé par l’intelligence artificielle (IA) au travail? Les conseillers en orientation doivent maintenant accompagner les clients qui se posent la question.

«La question de l'IA, elle revient constamment», constate le conseiller en orientation Frédéric Piot.

«Les jeunes se questionnent beaucoup, enchaîne celui qui est aussi chargé de cours à l’UQAM. Ils veulent savoir si ça vaut la peine de devenir commis-comptable, de travailler en informatique, même en finance. Ils veulent savoir si leur métier ne va pas être remplacé tôt ou tard par l'IA.»

Il dit observer le même questionnement chez ceux qui se réorientent en cours de carrière.

L’Institut du Québec (IDQ) a identifié 96 professions vulnérables, ce qui représente le gagne-pain de près de 810 000 Québécois, selon un rapport publié en janvier. «Au-delà des chiffres, ce qu’il y a à retenir est le concept de vulnérabilité, explique sa directrice générale, Emna Braham, lors d’une entrevue récente. Vulnérable, c’est de ne pas être capable de se replacer.»

Le nombre de professions vulnérables n’est pas une prévision sur le nombre d’emplois détruits par l’IA, précise Mme Braham. «C'est très difficile de savoir comment la technologie va se développer. C'est très difficile de savoir comment et à quel rythme les organisations vont l'adopter et pour faire quoi.»

Il est donc impossible d’anticiper ce qu'il adviendra de chaque métier, tant pour les conseillers en orientation que pour ceux qui réfléchissent à leur vocation. «Il faut rester humble, abonde M. Piot. Les données qu’on a, elles sont quand même récentes et fragiles. Nous n’avons pas nécessairement la vérité.»

Face à l’inconnu, on mettrait trop de pression sur les jeunes en présentant leur choix de carrière comme une décision coulée dans le béton, juge la présidente de l’Ordre des conseillers et conseillères en orientation du Québec, Caroline Dufour.

«On demande à nos jeunes de prévoir pour les 40 prochaines années, alors que le marché du travail risque de ne pas se ressembler, déplore-t-elle. Il faut juste se calmer, respirer, y aller une étape à la fois.»

Aux jeunes qui s’interrogent, la conseillère en orientation Caroline Arsenault répond qu’il vaut mieux valider ses impressions sur le terrain. «Allez voir ce qu'il y en a dans les milieux de travail. On encourage beaucoup à faire des stages d'un jour», suggère l’experte qui travaille également pour Septembre éditeur, qui publie les guides «Choisir».

Si le contexte change, la démarche d’orientation reste la même, croit Mme Arsenault. «De toute époque, le conseiller d'orientation est là pour aider à trouver sa place dans le monde du travail, trouver un peu plus au niveau existentiel: "c'est quoi le sens de ce que je fais, pourquoi je me lève le matin".»

L’IA ne remet pas en cause ces questions importantes, selon elle. Il restera des moyens de contribuer à la société, en harmonie avec ses intérêts et ses aptitudes. «C'est les façons de le faire qui vont changer avec la technologie qui évolue», nuance Mme Arsenault.

Plus qu’un robot

Le défi pour les travailleurs sera de miser sur les compétences humaines qui les aideront à se démarquer de l’intelligence artificielle. «Si je fais mon travail comme un robot, on va prendre un robot à place», prévient le conseiller en orientation Mathieu Guénette.

Pour sa part, M. Piot n’incite pas ses clients à écarter complètement l’idée de poursuivre une carrière dans un métier potentiellement vulnérable.

Il donne l’exemple des traducteurs, qui devront composer avec les avancées des grands modèles de langage de l’IA.

«Je vais essayer d'amener la personne à devenir un traducteur agréé, plutôt que de faire de la traduction en autodidacte parce qu'elle parle bien anglais, par exemple, et qu'elle pense que c'est suffisant», explique le conseiller.

La peur de l’IA n’est pas nécessairement un bon guide, croit la conseillère en orientation Annie Gourde.

«Je pense que ça va changer le visage du marché du travail, c'est certain, commente-t-elle. Il vaut mieux ne pas être les derniers à l'accepter.»

Passionnée de technologie, Mme Gourde, qui est aussi chargée de cours à l’Université Laval, prépare sa thèse de doctorat qui porte sur l’effet des technologies sur le domaine de l’orientation depuis 1940.

L’IA n’est pas la première technologie à changer notre quotidien au travail, met-elle en perspective.

Tout en gardant un esprit critique et en étant conscient des risques, elle invite les gens à explorer cet outil. «Je pense qu'on gagne, peu importe le secteur, à être proactif et à aller chercher de l'information et à s'éduquer plutôt que de rester sur nos craintes.»

Une pression énorme sur les travailleurs

L’adoption de l’IA risque toutefois d’accroître les inégalités alors qu’on valorise certaines aptitudes, comme l’adaptabilité, l’intelligence émotionnelle, la créativité, tout en dévalorisant les compétences qui seront remplacées.

«J'ai toujours une peine qui m'habite lorsque j'entends: "l’IA remplacera les tâches plates", mais je me dis: "plate pour qui?", déplore Mme Dufour. Il y a des gens qui aiment les tâches routinières.»

La présidente de l’Ordre, qui pratique auprès d’une clientèle en réinsertion, croit que les personnes sans diplôme et celles qui ont moins de connaissances technologiques sont plus vulnérables.

Ceux qui conserveront leurs emplois devront tout de même composer avec une plus grande intensité du travail. «On dit que ça va optimiser notre travail, mais ça veut dire qu’il ne resterait que les tâches complexes, souligne Mme Dufour. Parfois, ça fait du bien de s’aérer l’esprit (avec les tâches plus routinières de notre travail).»

Stéphane Rolland, La Presse Canadienne