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Le projet de loi sur le statut de membre des Premières Nations expliqué

durée 06h00
23 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — Les sénateurs ont adopté d'importants amendements à un projet de loi visant à simplifier la transmission du statut de membre des Premières Nations entre les générations, mais on ignore encore si ces modifications seront adoptées par la Chambre des communes.

La ministre des Services aux Autochtones, Mandy Gull-Masty, a déclaré à La Presse Canadienne qu'elle consultait toujours les Premières Nations sur la façon de régler la question.

Le statut de membre des Premières Nations est un sujet très complexe et personnel, et toute modification des règles d'admissibilité aura des répercussions importantes sur l'ensemble des communautés des Premières Nations et sur les familles ayant un statut juridique mixte en vertu de la Loi sur les Indiens.

Le statut de membre des Premières Nations en vertu de la Loi sur les Indiens permet aux personnes d'accéder à certains services sociaux et avantages fiscaux. Or, selon les règles actuelles, des personnes dont des membres de la famille proche détiennent ce statut pourraient elles-mêmes ne pas y être admissibles.

Mardi, les sénateurs ont élargi le projet de loi S-2, conçu pour aider quelque 6000 personnes à obtenir le statut, afin d'éliminer le «seuil de la deuxième génération» et d'opter plutôt pour la règle du parent unique, qui permettrait la transmission du statut de membre des Premières Nations à un enfant si l'un de ses parents est inscrit.

Voici ce que vous devez savoir sur le statut des Premières Nations, les enjeux soulevés par les chefs et la réponse du gouvernement.

Que veulent changer les sénateurs ?

Le projet de loi S-2, déposé au Sénat avec l’appui du gouvernement libéral, vise à éliminer certaines inégalités entre les sexes dans la Loi sur les Indiens et à permettre à quelque 6000 personnes d’obtenir le statut de membre des Premières Nations.

Certains sénateurs et chefs des communautés des Premières Nations ont estimé que le projet de loi n’allait pas assez loin. Les sénateurs ont voté pour élargir les critères d’admissibilité afin de permettre le transfert du statut aux enfants si l’un de leurs parents est inscrit.

La ministre Gull-Masty a déclaré à La Presse Canadienne que, même si le Sénat tente de s’attaquer à un enjeu «extrêmement important», aucune modification à la Loi sur les Indiens ne devrait être apportée sans de vastes consultations auprès des Premières Nations.

Le comité sénatorial chargé d’étudier le projet de loi a entendu près de 50 témoins, qui ont tous affirmé que la limite de la deuxième génération devait être abolie. Les sénateurs ont indiqué que ces voix représentaient plus de la moitié des Premières Nations au Canada.

«Au vu des propositions du Sénat, il s'agit du travail qu'ils ont choisi d'entreprendre. Mais pour moi, il est bien plus important de retourner consulter la communauté et de lui demander: quels sont les critères (que vous voulez pour le statut de membre des Premières Nations) ?», a affirmé Mme Gull-Masty.

«Le statut d'Indien inscrit est une construction de la Loi sur les Indiens. Le statut de membre des Premières Nations, quant à lui, est, à mon avis, un travail de définition que la communauté doit entreprendre. Cela fait partie du processus de collaboration. C'est là, je crois, que les membres de la communauté doivent saisir l'occasion de dire à leurs chefs et à leurs conseils: "Voici ce que je pense, voici comment nous voulons le définir".»

Les modifications apportées par les sénateurs ne deviendront loi que si elles sont adoptées par la Chambre des communes, un processus qui, selon Mme Gull-Masty, pourrait mener à d'autres amendements ou clarifications.

Comment obtient-on le statut de membre des Premières Nations actuellement ?

La loi actuelle utilise une formule pour déterminer si une personne remplit les conditions requises pour obtenir le statut de membre des Premières Nations.

La Loi sur les Indiens prévoit deux catégories de statut: 6(1) et 6(2).

Généralement, une personne ayant le statut 6(1) est considérée comme ayant un statut «complet», tandis qu’une personne ayant le statut 6(2) a un statut «partiel».

Les personnes enregistrées en vertu du statut 6(1) peuvent transmettre leur statut à leurs enfants, même s’ils ont eu ces enfants avec une personne sans statut. Dans ce cas, leurs enfants se verront accorder le statut 6(2).

Si une personne ayant le statut 6(1) a des enfants avec une personne ayant le statut 6(2), ces enfants sont considérés comme ayant le statut 6(1). Il en va de même pour une personne enregistrée en vertu du statut 6(1) qui a des enfants avec une autre personne ayant le statut 6(1).

Les personnes ayant le statut 6(2), quant à elles, ne peuvent transmettre leur statut à leurs enfants que si ces derniers ont été conçus avec une personne ayant le statut 6(1) ou 6(2).

C’est ce qu’on appelle le «seuil de la deuxième génération», et c’est sur ce point que se concentrent la plupart des critiques.

Pourquoi modifier les critères d'admissibilité ?

Les Premières Nations sont le seul groupe autochtone du Canada dont la reconnaissance est déterminée par le gouvernement fédéral.

Des critiques affirment que la formule d'attribution du statut de membre des Premières Nations pénalise les personnes en raison de leurs choix de conjoint. Certains chefs ont averti que, selon les critères d'admissibilité actuels, ils n'auront aucun membre des Premières Nations à la prochaine génération, ce qui nierait de fait leur statut de peuple distinct.

Les Nations unies ont également exprimé des inquiétudes quant à la façon dont le Canada détermine le statut des Premières Nations, affirmant que le système actuel touche principalement les femmes des Premières Nations et prive leurs descendants de l'égalité d'accès aux droits issus des traités et aux droits inhérents.

Certaines Premières Nations établissent leurs propres règles d'adhésion, mais cela ne signifie pas nécessairement que les personnes qu'elles reconnaissent comme membres de leur Première Nation sont considérées comme telles par le gouvernement fédéral.

Quelle est la position du gouvernement fédéral ?

Le gouvernement fédéral a reconnu l'existence de problèmes liés aux règles actuelles, mais il tarde à mettre en œuvre des changements. Il dit poursuivre les consultations avec les Premières Nations afin de trouver une solution, malgré des décennies de plaidoyer de la part des Premières Nations qui estiment que le système ne répond pas à leurs besoins.

Le gouvernement fédéral a commencé à se pencher sur la question en 2018. Un rapport publié en 2019 indiquait que la limite de deux générations était une exigence des Premières Nations, mais qu'aucun consensus n'avait été trouvé quant à la marche à suivre.

Depuis, les consultations entre Ottawa et les Premières Nations sur le sujet se poursuivent.

Mme Gull-Masty a mis en garde les sénateurs contre la modification du projet de loi S-2 visant à supprimer la limite de deux générations et leur a assuré qu'elle reviendrait avec un plan au début de l'année prochaine.

Les sénateurs n'ont pas tenu compte de cet avertissement et ont modifié le projet de loi pour supprimer la limite de deux générations et adopter la règle d'un seul parent. La loi ne deviendra loi qu'après avoir été adoptée par la Chambre des communes.

Mme Gull-Masty a fait valoir à La Presse Canadienne qu'elle croit que la question sera réglée et que le statut d'Indien en vertu de la Loi sur les Indiens n'est pas une question partisane.

«Il s'agit d'une question de droits de la personne, d'une question de droits des Autochtones, et nous devons la respecter dans ce contexte», a-t-elle affirmé.

Quelle est la position de l'APN ?

Dans une publication sur les réseaux sociaux faisant suite à l'amendement du projet de loi S-2 par les sénateurs, la cheffe nationale de l'Assemblée des Premières Nations (APN), Cindy Woodhouse Nepinak, a déclaré que les Premières Nations savent qui appartient à leurs communautés et qu'«il est temps que le Canada trouve une autre voie et respecte la citoyenneté et la souveraineté des Premières Nations sur leur population, leurs membres et leur peuple».

En décembre dernier, les chefs ont adopté des résolutions à l'APN demandant la mise en place d'un processus visant à abolir la limite de deux générations et à reconnaître la compétence des Premières Nations en matière de statut.

Des groupes régionaux des Premières Nations, dont l'Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique et l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, ont également réclamé l'élimination de cette limite.

Plusieurs groupes des Premières Nations ont salué les modifications apportées au projet de loi S-2 par les sénateurs. La Nation Anishinabek, qui représente 39 Premières Nations en Ontario, a félicité les sénateurs pour leur «courage» d'avoir modifié le projet de loi.

Que se passera-t-il si l'admissibilité est désormais basée sur la règle d'un seul parent ?

Si les amendements proposés au Sénat sont adoptés par la Chambre des communes, un nombre indéterminé de personnes pourraient obtenir le statut de membre des Premières Nations.

Bien que les amendements soient largement appuyés par les Premières Nations, certaines s'inquiètent de la perspective d'accueillir un nombre inconnu de nouveaux membres.

Le chef de la Première Nation Chippewas de Thames, Joe Miskokomon, a déclaré à La Presse Canadienne que, même s'il n'est pas opposé aux changements, il craint que Services aux Autochtones Canada n'augmente pas le financement pour soutenir les nouveaux membres, ce qui compliquerait la planification de nouveaux projets d'infrastructure.

Alessia Passafiume, La Presse Canadienne