La réforme de l'immigration nécessite l'adhésion du public, selon les experts


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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — Certains premiers ministres provinciaux affirment vouloir davantage de contrôle sur le système d'immigration, mais des experts estiment que ce dont le système a réellement besoin, c'est d'un débat national sur la réforme de l'immigration afin de renforcer le soutien de la population.
«La plupart des politiques existantes ont été élaborées à la va-vite, sans aucune preuve ni évaluation sérieuse de l'impact des différentes catégories d'immigrants, de leurs performances économiques et autres», a expliqué Michael Trebilcock, chercheur à la retraite et coauteur de deux ouvrages sur la politique d'immigration.
«Il s'agit donc essentiellement d'une politique sans fondement scientifique.»
Au terme de leur rencontre de trois jours à Huntsville, en Ontario, à la fin du mois dernier, les premiers ministres provinciaux et territoriaux ont appelé à une augmentation des niveaux d'immigration économique afin de combler les pénuries de main-d'œuvre.
Ils ont annoncé qu'ils utiliseraient leurs pouvoirs constitutionnels pour renforcer leur contrôle sur l'immigration et délivrer des permis de travail.
«Est-ce que je veux que tout le système d'immigration repose sur les épaules de la province? Non. Est-ce que j'aimerais être traité de la même manière que le Québec? Oui, et toutes les autres provinces aussi», a tranché le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, lundi dernier.
Le Québec dispose de son propre système d'immigration, grâce à un accord avec le gouvernement fédéral. La province peut choisir qui peut immigrer au Québec en fonction de ses propres critères, la maîtrise de la langue française étant un facteur important.
Le ministre de l'Immigration de l'Ontario, David Piccini, a affirmé lundi dernier que la province souhaitait également obtenir un soutien financier accru de la part d'Ottawa afin de contribuer au financement des services sociaux mis à rude épreuve par le nombre élevé de demandeurs d'asile arrivant en Ontario.
Ninette Kelley, ancienne responsable du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et ancienne membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, a souligné que le contrôle provincial sur l'immigration s'était considérablement renforcé au cours des deux dernières décennies.
«Elles savent ce dont elles ont besoin aujourd'hui et veulent s'assurer d'obtenir la main-d'œuvre nécessaire pour répondre à ces besoins», a-t-elle mentionné.
«Mais en même temps, je ne vois absolument aucune évaluation de la manière dont ces programmes sont mis en œuvre ni de leurs effets.»
Examen complet
Selon M. Trebilcock, les préoccupations des premiers ministres provinciaux devaient être prises au sérieux, car l'augmentation de l'immigration stimule la demande de soins de santé et d'autres services provinciaux.
À son avis, il est «inquiétant» de constater que le soutien des Canadiens à l'immigration diminue dans plusieurs sondages. Il plaide donc en faveur d'un examen public complet pour rétablir ce soutien grâce à des politiques fondées sur des données probantes.
«Ce que nous voyons actuellement, ce sont souvent des changements fragmentaires et improvisés en réaction à des préoccupations particulières qui ont été soulevées dans les médias (comme) les étudiants étrangers, les travailleurs étrangers temporaires», a-t-il soulevé.
Mme Kelley croit aussi qu'au lieu d'un exercice pluriannuel, un examen complet du système d'immigration pourrait être mené rapidement avec «les bonnes personnes autour de la table».
Plus de pouvoirs aux provinces
En entrevue avec La Presse Canadienne, le ministre de l'Immigration de la Saskatchewan, Jim Reiter, a déclaré que ses homologues des autres provinces et lui avaient fait savoir à Ottawa qu'ils souhaitaient être davantage considérés comme des partenaires en matière d'immigration, et non comme des parties prenantes.
«Nous devons avoir plus d'influence dans la prise de décision, car une grande partie des flux économiques doit être ciblée en fonction des besoins spécifiques de chaque province», a argué M. Reiter.
L'année dernière, le gouvernement fédéral a réduit le nombre de places dans le Programme des candidats des provinces de 110 000 à 55 000 dans le cadre d'efforts plus larges visant à freiner l'immigration.
Ce programme permet aux provinces et aux territoires de désigner des candidats à la résidence permanente en fonction de leurs compétences et de leur capacité à contribuer à l'économie. Chaque province et territoire dispose de son propre programme ciblant différents types d'immigrants en fonction de facteurs tels que les compétences ou l'expérience professionnelle.
Les ministres provinciaux de l'Immigration souhaitent que le Programme des candidats des provinces revienne à son niveau antérieur, a martelé M. Reiter.
Il a ajouté que, bien qu'il comprenne la nécessité de réduire le nombre de visas temporaires, cela ne devrait pas se faire au détriment des immigrants économiques.
Sur les 3600 places dont dispose la Saskatchewan pour son programme de candidats à l'immigration, les trois quarts doivent être attribués à des travailleurs temporaires, de sorte que la province donne la priorité aux candidats qui travaillent dans le secteur de la santé et dans les métiers spécialisés.
«Nous construisons actuellement la plus grande mine de potasse au monde (…) juste à l'extérieur de Saskatoon, et, chaque fois que nous rencontrons la société BHP, elle soulève la question du manque de main-d'œuvre qualifiée. Cela a donc un effet néfaste sur la croissance économique.»
Reconnaissance des diplômes
Si les provinces souhaitent utiliser l'immigration pour renforcer leur marché du travail, M. Trebilcock pense que des mesures pourraient être prises pour faciliter la reconnaissance des diplômes étrangers dans des domaines tels que le droit et la médecine.
Les décisions fédérales en matière d'immigration ayant des répercussions sur les provinces, Mme Kelley estime que la mise en place d'un système d'immigration efficace nécessite une collaboration étroite entre tous les ordres de gouvernement.
«Cela souligne donc la nécessité d'une coopération très étroite entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les municipalités, tant au niveau de la fixation des quotas que des politiques en matière de logement et de soins médicaux actuellement en place, afin que nous puissions accueillir ceux que nous laissons entrer», a-t-elle conclu.
David Baxter, La Presse Canadienne