La puce cérébrale Neuralink d'Elon Musk soulève des questions éthiques au Canada


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Par La Presse Canadienne, 2025
TORONTO — Certains médecins et bioéthiciens s'inquiètent du partenariat d'un hôpital de Toronto avec une entreprise fondée par le milliardaire américain Elon Musk.
Le Réseau universitaire de santé a annoncé plus tôt ce mois-ci que deux patients canadiens tétraplégiques avaient reçu des implants cérébraux Neuralink d'Elon Musk dans le cadre d'une étude testant la sécurité et l'efficacité de l'appareil sans fil.
Si les critiques voient l'intérêt de l'essai clinique dans l'objectif de rendre l'autonomie aux personnes paralysées, ils s'opposent à la collaboration d'un hôpital canadien avec une entreprise appartenant à Elon Musk, à la suite des coupes dévastatrices dans les programmes de santé vitaux, dont il a été le fer de lance.
D'autres éthiciens affirment que si cette technologie pouvait améliorer la vie des patients, cela devrait être une priorité.
Le Dr Raghu Venugopal, urgentiste au Réseau universitaire de santé, a mentionné sur les réseaux sociaux plus tôt ce mois-ci que «les médecins canadiens ne devraient jamais collaborer avec Elon Musk».
Il a déclaré qu'Elon Musk avait «détruit» le financement de l'aide étrangère du gouvernement américain, ce qui, selon une étude récente publiée dans la revue médicale The Lancet, pourrait entraîner 14 millions de décès au cours des cinq prochaines années.
Pendant plusieurs mois, plus tôt cette année, Elon Musk a dirigé les efforts du gouvernement américain pour réduire les dépenses, notamment en supprimant la majeure partie de l'aide étrangère versée par l'USAID, qui gère un large éventail de programmes, tels que la distribution de médicaments contre le VIH, la vaccination contre la polio et l'éradication du paludisme.
L'étude du Lancet a estimé que les programmes de l'USAID ont sauvé plus de 90 millions de vies au cours des deux dernières décennies.
Kerry Bowman, bioéthicien à l'Université de Toronto, a indiqué que le rôle «profondément destructeur» d'Elon Musk dans le recul de ces avancées majeures en matière d'accès aux soins de santé à l'échelle mondiale aurait dû être pris en compte dans ce partenariat, et que cela le mettait «très mal à l'aise et préoccupé sur le plan éthique».
La tension autour des partenariats public-privé n'est pas nouvelle, mais le caractère conflictuel de la politique américaine a ajouté un niveau de complexité supplémentaire. Récemment, le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, a annulé un partenariat avec Starlink, le fournisseur d'accès Internet d'Elon Musk, en raison des droits de douane américains sur les produits canadiens.
Brad Wouters, vice-président directeur, Sciences et recherche, du Réseau universitaire de santé, a déclaré reconnaître la complexité d'un partenariat avec Elon Musk, compte tenu de son implication dans les coupes budgétaires en santé mondiale. Il a également précisé que Neuralink avait préalablement sélectionné le centre pour l'étude CAN-PRIME.
«Nous avons déterminé qu'il était dans l'intérêt des patients et de la science de participer à cette collaboration, a souligné M. Wouters dans un communiqué lundi. Après un examen attentif et l'approbation du protocole d'étude par les organismes de réglementation, nous avons déterminé que participer à cet essai s'inscrit dans notre responsabilité de repousser les limites des soins pour les patients aux options limitées.»
Une première hors des États-Unis
Le Réseau universitaire de santé est le premier site hors des États-Unis à tester l'implant cérébral de Neuralink, autorisé à recruter six participants paralysés par une lésion de la moelle épinière ou atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA).
Des fils d'électrodes ultra-fins ont été implantés dans le cerveau de deux patients canadiens. En quelques minutes, ils ont pu traduire des signaux neuronaux en actions, contrôlant un curseur d'ordinateur par la pensée, a expliqué le neurochirurgien en chef après les interventions des 27 août et 3 septembre à l'hôpital Toronto Western.
Selon M. Wouters, le réseau hospitalier respecte les normes éthiques établies par des comités d'éthique de la recherche indépendants et par Santé Canada pour tous les essais cliniques.
Malgré ces autorisations réglementaires, M. Bowman s'est également dit préoccupé par le manque de transparence de l'entreprise américaine concernant ses recherches médicales. Il a expliqué que Neuralink se comporte davantage comme une entreprise, publiant des vidéos et des témoignages sur son site web plutôt que des informations sur ses résultats et ses échecs.
Il a indiqué ne pas avoir trouvé d'informations sur les risques de cette procédure invasive, comme ce qui se passe en cas de dégradation ou d'infection du dispositif, ni sur la manière dont le consentement est obtenu et la sélection des participants, des informations généralement faciles à trouver pour un essai clinique.
M. Bowman a déclaré n'avoir trouvé qu'un article de revue médicale rédigé par Elon Musk en 2019.
Neuralink n'a pas répondu à une demande de commentaire.
«Ce qui se passe, c'est que les entreprises privées, et peut-être pas toutes, mais cela vous éloigne vraiment du monde médical habituel. Il y a plusieurs aspects préoccupants à ce sujet», a indiqué M. Bowman.
La première personne à avoir reçu un implant cérébral Neuralink aux États-Unis l'année dernière a déclaré publiquement que l'appareil avait commencé à glisser hors de son cerveau quelques semaines après l'opération, mais que son état s'était depuis stabilisé et que l'opération était toujours utile.
Des essais cliniques similaires
M. Bowman a avancé que d'autres sociétés de biotechnologie mènent des essais cliniques sur des dispositifs d'interface cerveau-ordinateur, visant à permettre aux personnes tétraplégiques de contrôler des appareils externes par la pensée, et s'interroge sur les raisons pour lesquelles le Réseau universitaire de santé n'envisagerait pas de travailler avec elles.
Synchron, établie à New York, et Neuracle Neuroscience, en Chine, mènent actuellement des essais cliniques.
Le Réseau universitaire de santé n'a pas précisé s'il envisageait de collaborer avec d'autres entreprises, mais a indiqué que Neuralink avait approché le réseau hospitalier en raison de son leadership en neurochirurgie et en recherche biomédicale.
Judy Illes, directrice de Neuroéthique Canada, a déclaré que les politiques d'Elon Musk ne devraient avoir aucune incidence sur l'essai clinique. Bien qu'elle ait jugé les coupes budgétaires mondiales en santé préoccupantes, elles devraient être «compartimentées» de la recherche de Neuralink au Canada.
«L'une concerne spécifiquement l'éthique de la recherche et les essais cliniques, et l'autre la politique de santé mondiale, a affirmé Mme Illes, professeure de neurologie à l'Université de la Colombie-Britannique. Sinon, pour reprendre la vieille métaphore, nous risquons de jeter le bébé avec l'eau du bain».
L'éthicien Arthur Schafer estime que le débat se résume finalement au serment d'Hippocrate des médecins, qui vise à protéger leurs patients et à prévenir les préjudices.
«Si la technologie s'avère sûre et efficace, les médecins ne devraient pas hésiter à y donner accès à leurs patients, même si le fondateur et principal actionnaire de Neuralink est l'odieux Elon Musk», a soutenu M. Schafer, directeur fondateur du Centre d'éthique professionnelle et appliquée de l'Université du Manitoba.
Mais si d'autres entreprises au même stade de développement que Neuralink obtiendraient les mêmes résultats pour les patients, M. Schafer juge qu'il serait juste d'envisager la participation d'Elon Musk.
«Je pense qu'il est possible pour un médecin d'exprimer ses réserves éthiques à l'égard de M. Musk et de son rôle dans les coupes budgétaires dans la santé publique, causant potentiellement des millions de décès et contribuant à la destruction de l'USAID, si cela ne porte aucun préjudice à ses patients», a résumé M. Schafer.
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Hannah Alberga, La Presse Canadienne