La ministre Anita Anand promet de l'action sur le front des affaires étrangères


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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Face à l'escalade du conflit au Moyen-Orient, à l'effondrement du système commercial mondial et à la difficulté de réformer son ministère, la ministre des Affaires étrangères, Anita Anand, affirme se réjouir de pouvoir aider le Canada à traverser un monde turbulent.
Dans une entrevue approfondie accordée jeudi à La Presse Canadienne, Mme Anand a déclaré que son expérience en politique et dans le milieu universitaire peut l'aider à rationaliser l'approche du Canada face aux enjeux mondiaux, lui permettant de défendre ses intérêts sans perdre de vue ses valeurs.
«Comment s'assurer, avec des ministères aussi gros, d'être réellement en mesure d'exécuter ses tâches? C'est le cœur du gouvernement. C'est la chose la plus difficile à faire», a expliqué Mme Anand.
«J'aime les responsabilités difficiles.»
Elle a cité son passage à la Défense nationale, où elle a incité les Forces armées canadiennes à lutter contre les inconduites sexuelles et organisé des dons de fournitures militaires aux forces de première ligne en Ukraine.
Précédemment, en tant que ministre de l'Approvisionnement pendant la pandémie de COVID-19, elle a amené l'un des ministères les plus importants et les plus complexes d'Ottawa à livrer des vaccins partout au pays en quelques jours.
Mme Anand souligne comment c'était difficile de dire: «Il faut acheter tel ou tel produit aujourd’hui.»
«C’est un peu la même approche que j’apporte aux affaires étrangères, et c’est vraiment stimulant», a-t-elle ajouté.
Mme Anand a expliqué que son travail consiste à écouter attentivement ce que dit le service extérieur, même si elle ne suit pas toujours ses directives.
«Il faut réfléchir de manière indépendante, tenir compte des conseils reçus, mais aussi s’assurer de s’acquitter de ses obligations envers la population canadienne», a-t-elle soutenu.
«J’apprécie les conseils que me donnent mes collaborateurs, mais en fin de compte, les décisions que je prends reposent sur un jugement indépendant quant à ce qui est le mieux pour notre pays en termes de relations diplomatiques et de politique étrangère.»
Réduire la dépendance aux États-Unis
Une grande partie de son travail, a-t-elle expliqué, consiste à soutenir les efforts du premier ministre Mark Carney pour réduire la dépendance du Canada envers les États-Unis en matière de commerce et de défense.
«Nous étudions toutes les options pour renforcer notre collaboration avec des partenaires commerciaux et des alliés fiables dans le monde entier», a-t-elle ajouté.
«Mon rôle en tant que ministre des Affaires étrangères est de défendre les intérêts du Canada dans ce processus et de veiller à ce que nous défendions également la paix, la sécurité des civils et le respect du droit international», a-t-elle indiqué.
M. Carney a donné le ton à une grande partie de la politique étrangère du Canada, et la ministre Anand accompagnera le premier ministre lors d'un voyage diplomatique en Europe la semaine prochaine.
Le Canada signera lundi à Bruxelles un accord avec l'Union européenne, principalement axé sur les marchés publics de la défense. M. Carney et Mme Anand se rendront ensuite au sommet de l'OTAN aux Pays-Bas, où ils espèrent utiliser les nouvelles promesses de dépenses du Canada et de ses alliés pour maintenir l'engagement des États-Unis en faveur de la défense collective.
L'approche de M. Carney en matière de politique étrangère est fortement orientée vers l'Europe et pourrait inclure davantage de contacts en Asie et en Afrique avant les sommets auxquels il doit participer cet automne sur les deux continents.
Maintenir l'aide étrangère
Si son gouvernement répond aux appels de ses alliés en faveur d'une forte augmentation des dépenses de défense, il va également à contre-courant d'une tendance internationale en promettant de ne pas réduire l'aide étrangère.
«Nous sommes profondément attachés au multilatéralisme plutôt qu'à l'unilatéralisme, à la coopération mondiale plutôt qu'à un protectionnisme accru», a assuré Mme Anand.
«Nous devons mettre en avant les valeurs du Canada en matière de paix, de sécurité des civils et de respect du droit international. Mais nous traversons une période où nous devons également promouvoir stratégiquement nos intérêts économiques ici, au pays, et veiller à ce que nous ayons des accords de défense et de sécurité en place pour la protection de notre propre pays.»
Elle a déclaré que son expérience ministérielle dans les domaines de la défense, de l'approvisionnement, des transports et du Conseil du Trésor – qui supervise les dépenses de tous les autres ministères – lui confère une perspective unique sur la manière dont les gouvernements peuvent concrètement tenir leurs promesses.
Lors du récent Sommet du G7 en Alberta, elle était aux premières loges pour voir ses plus proches homologues du Canada rédiger des déclarations sur des sujets allant de l'intelligence artificielle à la répression transnationale.
Rapprochement avec l'Inde
Ce sommet lui a permis de rencontrer en personne des représentants des alliés traditionnels d'Ottawa et d'autres de pays émergents de plus en plus influents, dont son homologue indien, Subrahmanyam Jaishankar.
Le gouvernement Carney s'apprête à rétablir ses relations diplomatiques avec l'Inde – une décision controversée, compte tenu de l'histoire récente entre Ottawa et New Delhi.
En 2023 et 2024, l'ancien premier ministre Justin Trudeau et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont déclaré qu'il existait des preuves reliant des agents du gouvernement indien au meurtre du militant séparatiste sikh canadien Hardeep Singh Nijjar à Surrey, en Colombie-Britannique, en juin 2023.
En octobre dernier, le commissaire de la GRC, Mike Duheme, a déclaré que la police disposait de preuves reliant des représentants du gouvernement indien à d'autres crimes commis au Canada, notamment l'extorsion, la coercition et l'homicide.
Le Service canadien du renseignement de sécurité a identifié l'Inde comme l'un des principaux moteurs de l'ingérence étrangère dans un rapport publié cette semaine.
Mme Anand a déclaré qu'Ottawa tente de rétablir certains aspects d'une «relation de longue date, suspendue depuis quelques années», tout en respectant la loi et les institutions, comme la GRC.
«L'environnement stratégique mondial est très instable et nous devons veiller scrupuleusement à respecter les fondements de notre démocratie», a-t-elle fait valoir.
Un ministère à réformer
Anita Anand est née et a grandi en Nouvelle-Écosse de parents immigrés de l'Inde. En tant qu'avocate et professeure à Toronto, elle s'est concentrée sur le domaine de la gouvernance d'entreprise, c'est-à-dire sur la façon dont les entreprises peuvent réformer leur mode de fonctionnement.
Affaires mondiales Canada subit lui-même de fortes pressions pour modifier son fonctionnement. Le ministère a lancé un plan de réforme en février 2024, admettant notamment qu'il peut être «lent à réagir ou manquer de concentration» lorsque des crises majeures éclatent, et que ses politiques de dotation en personnel ne sont pas à la hauteur de ses responsabilités croissantes et de ses budgets plus serrés.
La situation n'a fait que se complexifier depuis, Washington réduisant son aide étrangère et se rapprochant d'une Russie revancharde, tandis que la Chine encourage l'augmentation des échanges commerciaux avec le Canada et d'autres pays.
Le Canada a quant à lui promis de nommer de nouveaux ambassadeurs en Afrique et d'ouvrir de nouvelles ambassades aux Fidji et au Bénin, tout en maîtrisant les dépenses au sein du gouvernement.
Les détracteurs du Canada ont l'habitude de prétendre que ce ne sont que des paroles en l'air lorsqu'il s'agit de relations internationales. Justin Trudeau a souvent été critiqué pour avoir soulevé des questions de droits de la personne et intégré des politiques environnementales dans les accords commerciaux, tout en ne parvenant pas à atteindre les objectifs de son gouvernement en matière de dépenses de défense ni à approvisionner ses alliés en gaz naturel liquéfié.
Les diplomates étrangers et le personnel ministériel décrivent Mme Anand comme une femme prudente, attentive et axée sur les résultats. Bien qu'elle prenne le temps de se renseigner en profondeur, elle souhaite obtenir des résultats importants, et rapidement.
«Nous avons tellement de travail à accomplir et nous ne pouvons pas perdre de temps», a-t-elle souligné.
«Je suis moi-même orientée vers l'action et le premier ministre le sait. C'est pourquoi nous formerons une bonne équipe sur le front des affaires étrangères.»
Dylan Robertson, La Presse Canadienne