L'initiative de décriminalisation des drogues à Toronto demeure incertaine
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Par La Presse Canadienne, 2024
TORONTO — L'initiative de Toronto pour décriminaliser la possession de drogues illégales pour usage personnel a été plongée dans l'incertitude ces derniers jours, des experts suggérant que les débats politiques autour du recul de la Colombie-Britannique nuisent à la demande de la Ville.
Le premier ministre et la ministre fédérale de la Santé mentale et des Dépendances ont tous deux déclaré séparément que la ville ne disposait pas actuellement d'une demande «active» à examiner par le gouvernement. Et pendant ce temps, la santé publique de Toronto a indiqué que sa demande restait entre les mains de Santé Canada.
Gillian Kolla, chercheuse en santé publique, affirme qu'«on ne sait pas du tout ce qui peut retarder» la demande formulée il y a plus de deux ans. Mais elle craint que le processus n'ait été teinté par la politisation, et que la proposition «très complète» ne soit pas jugée sur ses mérites.
Mme Kolla, une experte en politiques publiques sur la drogue établie à Toronto, estime qu'il semble y avoir «un manque total de sentiment d'urgence» de la part du gouvernement fédéral.
Une demande «dormante» de Toronto
La Ville a demandé à Santé Canada au début de 2022 une exemption en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Cette demande est revenue sous le feu des projecteurs récemment après que la Colombie-Britannique eut reculé sur son propre projet pilote de décriminalisation.
Le gouvernement britanno-colombien a obtenu cette semaine l'approbation du gouvernement fédéral pour recriminaliser la possession publique de drogues, un revers important pour le premier projet pilote du genre au Canada.
Devant la pression de l'opposition conservatrice à propos de la proposition de Toronto, la ministre fédérale de la Santé mentale et des Dépendances, Ya'ara Saks, a qualifié la demande de la ville de «dormante» et déclaré qu'elle n'était pas parvenue à son bureau.
Invité à clarifier, son bureau a qualifié la demande de Toronto d'«incomplète» et affirmé que Santé Canada attendait des réponses aux questions envoyées il y a des mois au sujet de la demande. Santé Canada voulait notamment savoir si la demande – qui est soutenue par la police de Toronto – «répondait de manière adéquate au double objectif de santé publique et de sécurité publique».
«En tant que telle, la demande d'exemption n'est pas dans l'état où elle serait soumise au ministre pour examen et ne constitue pas une demande active», a ajouté le bureau de la ministre Saks dans un communiqué cette semaine.
Le bureau a déclaré qu'il ne ferait pas de commentaires sur les détails de la demande. Santé Canada a redirigé plusieurs demandes de commentaires au bureau de la ministre.
La Santé publique de Toronto n'a pas répondu aux questions concernant la déclaration du bureau de Mme Saks et a refusé une demande d'entrevue avec la médecin-hygiéniste en chef, la docteure Eileen de Villa.
Le bureau de santé publique de la ville a précisé que sa demande de décriminalisation était toujours auprès de Santé Canada, qualifiant les discussions d'«actives et en cours».
«Nous nous engageons à maintenir un partenariat ouvert et constructif avec Santé Canada», a affirmé la santé publique de Toronto dans un communiqué transmis plus tôt cette semaine.
Demande de longue date de Toronto
DJ Larkin, directeur général de la Coalition canadienne des politiques sur les drogues, a fait valoir que «peu importe qui attend qui», la demande de Toronto, bien soutenue, traîne dans un processus d'examen trop lourd.
«Nous savons que les forces de police et les communautés à travers le pays et dans le monde savent déjà que la criminalisation ne fonctionne pas», a-t-il soutenu.
«Mais parce que nous devons examiner ces demandes d'exemptions, même dans des circonstances où les lois sur la possession ne sont peut-être pas déjà fortement appliquées, cela met (l'enjeu) en lumière. Cela crée une de ces étincelles de controverse.»
La rapidité avec laquelle le gouvernement fédéral traite la demande de Toronto suscite depuis longtemps des critiques de la part des consommateurs de drogues et leurs défenseurs, qui estiment qu'elle ne répond pas à l'urgence requise par une crise de surdose qui fait des centaines de morts dans la ville chaque année.
La décriminalisation est publiquement soutenue par les responsables de Toronto depuis au moins 2018 pour son objectif déclaré de réduire la stigmatisation et de traiter la crise des surdoses comme un problème de santé plutôt que comme un problème criminel. Selon la demande de Toronto, la criminalisation de la possession de drogue ne fait que rendre plus difficile l'obtention de soutien pour les personnes qui consomment de la drogue.
La ville a envoyé une demande préliminaire à Santé Canada en janvier 2022 et, après des consultations supplémentaires, a mis à jour sa soumission en mars 2023. La proposition demande que la décriminalisation soit associée à une foule de réponses de santé publique plus directes, notamment une réduction accrue des méfaits et des services de santé mentale.
La proposition de la ville va plus loin que la Colombie-Britannique, en protégeant également les jeunes contre des accusations criminelles et en étendant l'exemption à toutes les drogues pour possession personnelle.
L'initiative a été coparrainée par le chef de la police de Toronto, Myron Demkiw, qui a décrit la ville comme déjà soumise à une décriminalisation «de facto» dans la soumission de la ville de 2023. Les agents ont reçu pour instruction de minimiser les accusations de possession personnelle et les procureurs fédéraux ont reçu l'ordre de poursuivre uniquement les cas de possession personnelle les plus graves, comme ceux liés à la conduite avec facultés affaiblies ou présentant un risque pour les enfants.
La demande a néanmoins été ridiculisée par la province. Le premier ministre Doug Ford a promis de la combattre «bec et ongles» et jeudi, le ministre associé délégué à la Santé mentale et à la Lutte contre les dépendances de la province l'a qualifié de «désastre fabriqué à Toronto».
Un porte-parole du ministre de la Santé de l'Ontario a toutefois souligné que les villes sont libres de demander une exemption fédérale sans l'approbation de la province.
Mais le bureau du premier ministre Justin Trudeau a déclaré la semaine dernière que la province de l'Ontario serait «tenue de soutenir toute demande de Toronto, et elle ne l'a pas fait».
Changement de cap en Colombie-Britannique
La décision récente de la Colombie-Britannique de recriminaliser la possession dans les espaces publics a marqué un changement de cap majeur. Le premier ministre David Eby a déclaré que cette décision faisait suite aux inquiétudes de la police selon lesquelles les agents disposaient de moyens limités pour lutter contre la consommation de drogues en public. Ses détracteurs soutiennent toutefois que ces inquiétudes sont infondées.
«Il n'existe aucune donnée permettant de lier la décriminalisation à des problèmes accrus de sécurité publique ou même à une augmentation de la consommation publique de drogues», a assuré M. Larkin, qui est établi à Vancouver.
Le débat politique a également attisé les craintes sur le thème de la décriminalisation, selon Mme Kolla.
«Même avec des drogues légalisées et réglementées comme l'alcool, nous avons mis en place des mesures pour essayer d'équilibrer, par exemple quand les gens sont ivres et désordonnés dans les espaces publics», a-t-elle déclaré.
«D'un autre côté, l'une des inquiétudes est que nous avons une si longue histoire de criminalisation des personnes qui consomment actuellement des drogues illégales, même si elles ne causent aucun problème ni aucun trouble public, cela pourrait être un autre outil pour simplement criminaliser la pauvreté et criminaliser l'itinérance visible.»
Jordan Omstead, La Presse Canadienne