L'envers des émissions de perte de poids sera montré dans un documentaire


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Une nouvelle série documentaire diffusée le 15 août sur Netflix se penchera sur les dessous de la téléréalité de perte de poids américaine «The Biggest Loser». Pour des expertes, il semble de prime abord bénéfique de montrer l'envers de la médaille de ce genre d'émissions, qui ont causé du tort autant à des participants qu'à des téléspectateurs.
Ce type de téléréalité où la perte de poids s'inscrit dans une compétition n'est pas exclusive aux États-Unis. Des émissions du genre ont aussi été produites au Québec.
«Ça a eu et ça a encore un impact important sur notre société, parce que ça valorise une perte de poids rapide. Ça normalise, ça donne l'impression que c'est quelque chose qui est très faisable», affirme Lise-Andrée Massé, responsable du volet prévention et éducation chez Anorexie et boulimie Québec (ANEB) et nutritionniste diététiste.
Dans la bande-annonce de «Qui perd gagne: le poids de la série» («Fit for TV: The Reality Behind the Biggest Loser», en anglais), qui cumule déjà des millions de vues sur les différentes plateformes de médias sociaux, d'anciens participants à l'émission se confient sur les problèmes que la téléréalité a eus sur leur santé physique et mentale. Des producteurs de l'émission, qui a débuté en 2004 et qui s'est étalée sur 18 saisons, sont aussi interviewés.
Mme Massé estime qu'il est positif de montrer au public la face cachée de ce genre d'émissions.
«En regardant (la bande-annonce), je vois qu'ils parlent des problèmes que ça a mené, de la pression, probablement de troubles alimentaires qui ont été développés, de la santé qui a été affectée: tout ce qu'on ne voit pas dans les émissions parce que c'est du tape-à-l'œil», soutient-elle.
Andrée-Ann Dufour Bouchard, nutritionniste et cheffe de projet à l'organisme ÉquiLibre, indique qu'elle ne sait pas encore si la série documentaire sera bénéfique: tout dépendra du message qui sera mis de l'avant. Elle dit toutefois qu'il est important de montrer l'envers de la médaille de ce genre d'émissions.
Gabrielle Lisa Collard, rédactrice-pigiste, autrice et militante anti-grossophobie, croit également qu'il s'agit d'un sujet auquel on mérite de s'attarder avec le recul et les connaissances d'aujourd'hui, mais qu'il est difficile de juger si le documentaire sera positif avant sa sortie.
Pour Mme Collard, qui a tenu un blogue qui abordait la grossophobie et qui a écrit un essai sur le sujet, il a toujours été clair que ce genre d'émissions étaient nocives.
«C'était vraiment l'espèce d'aspect "freak show", je pense, qui a traumatisé tout le monde le plus. C'est de voir à quel point, et ça malheureusement je pense que c'est toujours vrai, les gens comme la société, entre guillemets, aiment beaucoup détester les personnes grosses», indique-t-elle.
Elle rappelle que l'émission était difficile à regarder et violente envers les personnes grosses, alors que l'on voyait notamment des participants monter sur des balances à bétail en pleurant, ou encore s'entraîner jusqu'à vomir.
«En bout de ligne, c'est se divertir en regardant de grosses personnes souffrir parce qu'on pense qu'elles méritent ça.»
Des impacts sur les participants et les spectateurs
Mme Massé, d'ANEB, s'est déjà entretenue avec des personnes qui ont participé à des téléréalités de perte de poids au Québec. Elle indique que, pour certains participants, l'image corporelle est devenue encore plus importante qu'elle ne l'était avant leur passage à l'émission.
«La personne qui a perdu du poids devant le public, elle va faire son épicerie, puis elle a peur du regard des gens. Qu'est-ce que les gens vont penser si j'achète un sac de chips? Qu'est-ce les gens vont penser si je reprends du poids?», indique la nutritionniste.
«Il y avait des gens qui me disaient qu'ils n'avaient pas vu de nutritionniste, qu’ils mangeaient à peine des mille calories, qu’il y avait des douleurs. Il y en a qui me disaient qu'ils ne mangeaient rien pour arriver à ce que le poids descende sur la balance: tous des comportements de troubles alimentaires, des comportements malsains derrière la caméra qu'on ne voit pas.»
Ce genre de téléréalités propagent aussi plusieurs messages problématiques et des préjugés, explique Mme Dufour Bouchard. Parmi eux, on comptait les préjugés que toutes les personnes grosses ne mangent pas bien, ou ne font pas d'activité physique.
«L'activité physique, encore une fois, c’est comme de sous-entendre que dès qu'une personne est grosse, elle est inactive, elle est sédentaire, elle est paresseuse», détaille la cheffe de projet chez ÉquiLibre.
Mme Dufour Bouchard affirme que ces émissions mettaient également de l'avant un quotidien irréaliste, où les participants avaient 100 % de leur temps à consacrer à des entraînements et à leur perte de poids, notamment.
Elle rappelle que de nombreux facteurs influencent le poids, sur lesquels une personne n'a pas nécessairement le contrôle. La spécialiste précise qu'on ne peut jamais connaître l'état de santé ou les habitudes de vie d'une personne seulement en se fiant à son apparence.
«De vivre toute cette stigmatisation-là, cette pression-là, ça peut avoir des impacts très négatifs aussi sur la santé globale, autant physique, mentale que sociale. Il y a beaucoup d'études qui montrent que la grossophobie, justement, est très, très nocive pour la santé», a expliqué la nutritionniste.
La question de la représentation
Mme Collard indique qu'à l'époque de «The Biggest Loser», on voyait peu de personnes grosses à la télévision. Une réalité qui est encore partiellement vraie aujourd'hui, dit-elle.
«Le moment où on en a le plus vu (de personnes grosses), probablement dans toute l'histoire de la télé en Amérique du Nord, c'est dans "The Biggest Loser"», affirme-t-elle, précisant que cette représentation était «extrêmement biaisée» et «très négative».
Si on parle souvent des réseaux sociaux comme étant négatifs concernant l'image corporelle, Mme Collard fait valoir que ces espaces ont pu donner une plateforme à des personnes de la diversité, incluant les personnes grosses, qui ont pu s'y retrouver et se reconnaître.
«La visibilité, avant, il fallait attendre que quelqu'un nous la donne, puis elle était seulement octroyée à des personnes qui correspondaient à un standard extrêmement restreint», explique-t-elle.
«Moi-même, j'ai grandi toute ma vie sans aucun exemple positif d'une femme grosse qui était heureuse, qui avait une carrière, qui était aimée, qui avait un style personnel, etc. Ce n’est pas parce qu'il n'y en avait pas, c'est juste parce qu'on ne les voyait pas», ajoute-t-elle, faisant valoir l'importance de la représentation.
Mme Collard a dit croire qu'une émission comme «The Biggest Loser» ne serait pas produite à nouveau aujourd'hui, mais qu'un retour en arrière n'est pas impossible.
«Si je regarde (la tendance) de comment on parle des gros corps en ce moment par rapport à il y a même cinq ans, je ne serais pas si surprise qu'un "Biggest Loser" revienne dans un autre cinq ans. Avec la montée d’Ozempic, le retour vers la droite, le retour vers le culte de la minceur, plus que ce qu'on a vu dans les 10 dernières années, honnêtement, ça se pourrait qu'on revienne en arrière à ce point-là. Mais j'espère que non.»
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Coralie Laplante, La Presse Canadienne