L'approche d'Ottawa envers Gaza érode le sentiment d'appartenance des musulmans


Temps de lecture :
4 minutes
Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — L'approche d'Ottawa concernant la guerre à Gaza érode le sentiment d'appartenance de nombreux Canadiens musulmans à ce pays, affirme la représentante spéciale fédérale chargée de la lutte contre l'islamophobie.
«Cette situation horrible et persistante nuit profondément au sentiment d'appartenance que ressentent les gens», a déclaré Amira Elghawaby, lors d'une entrevue avec La Presse Canadienne.
«Cela est lié à la déshumanisation… de la vie palestinienne, de la vie musulmane.»
Depuis février 2023, Mme Elghawaby conseille Ottawa sur l'impact des politiques fédérales, y compris la politique étrangère, sur les Canadiens musulmans.
Elle a affirmé que les musulmans ont été horrifiés par l'offensive militaire israélienne et les restrictions de l'aide à Gaza qui ont suivi l'attaque d'octobre 2023 menée par des militants du Hamas, qui a fait 1200 morts en Israël.
Le ministère de la Santé, dirigé par le Hamas, rapporte qu'Israël a tué près de 60 000 Palestiniens lors de son offensive militaire dans la bande de Gaza, qui a notamment inclus des bombardements sur des ambulances et des hôpitaux.
Israël a mis en place des sites de distribution d'aide où des centaines de personnes ont été abattues alors qu'elles tentaient d'accéder à de la nourriture.
Le Programme alimentaire mondial des Nations unies a indiqué la semaine dernière que les restrictions imposées par Israël à l'approvisionnement alimentaire de Gaza ont entraîné des niveaux de désespoir inédits : 100 000 femmes et enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère et un tiers de la population du territoire passe des jours sans manger.
Israël conteste le bilan des Nations unies et affirme avoir restreint l'aide en raison du vol de grandes quantités de nourriture par le Hamas. Les organisations humanitaires soutiennent qu'il n'existe aucune preuve de cette affirmation.
Mme Elghawaby a déclaré que le chagrin ressenti par les familles musulmanes canadiennes face aux souffrances de leurs proches à Gaza est aggravé par le sentiment qu'Ottawa n'en fait pas assez pour prévenir ces souffrances, malgré des «déclarations très claires» sur la situation.
«"Dévasté" n'est même pas un mot assez fort pour décrire ce que ressentent les gens», a-t-elle déclaré.
«(Il s'agit de) leurs proches, des membres de leur famille, qui meurent de faim, qui continuent d'être victimes de bombardements et de déplacements, et qui sont tout simplement désespérés – désespérés pour que cela cesse.»
Mme Elghawaby a écrit sur les réseaux sociaux que la peur ressentie par les Canadiens ayant de la famille dans la région grandit «chaque jour qui passe sans qu'aucune action concrète ne soit prise pour faire respecter le droit international humanitaire».
Lors de l'entrevue, Mme Elghawaby a dit ne pas disposer du mandat ni des informations suffisamment détaillées pour déterminer si le Canada en fait suffisamment. Elle a indiqué ne pouvoir que transmettre le sentiment répandu au sein des communautés musulmanes et arabes selon lequel Ottawa laisse tomber la situation.
«Comment est-il possible – c'est ce que les gens me demandent – que le droit international humanitaire soit violé de cette manière, alors que rien ne se passe réellement, ou pas assez ?», a-t-elle raconté.
«Ils se demandent : nos vies sont-elles sacrifiables ? Combien de personnes doivent mourir pour que des mesures concrètes soient prises pour mettre fin à cette situation ?»
Mme Elghawaby a affirmé que les communautés musulmanes souhaitent que «tous les outils» proposés par les organisations internationales soient utilisés «pour garantir le respect du droit international humanitaire». Elle a précisé que ces outils pourraient inclure davantage de sanctions ou un embargo total sur les armes contre Israël.
Elle a dit que son rôle n'était pas de dicter la politique étrangère du Canada. «Je suis ici pour donner un aperçu de la façon dont nos communautés perçoivent les politiques proposées par le gouvernement», a-t-elle indiqué.
Mme Elghawaby a également déclaré que le Canada devait corriger les problèmes liés à un programme qu'il a lancé pour permettre aux Canadiens de réinstaller leurs proches de Gaza. Moins de 1200 visas ont été délivrés dans le cadre de ce programme, même si Ottawa a accepté 5000 demandes.
Mme Elghawaby a aussi affirmé que les défenseurs des Palestiniens continuent d'être injustement qualifiés d'antisémites ou de proterroristes.
En janvier 2024, elle a déclaré que quiconque profère des propos haineux devrait en subir les conséquences, mais a souligné que des personnes ont été licenciées et stigmatisées pour avoir participé à des manifestations et signé des pétitions pacifiques.
Le problème n'a fait qu'empirer, a-t-elle soutenu.
«Ils continuent d'être accusés de sympathiser avec le terrorisme et d'être en décalage avec la démocratie et les droits de la personne, a-t-elle déclaré. En fait, c'est tout ce qu'ils réclament : des normes démocratiques, le respect du droit international humanitaire partout dans le monde, y compris pour les Palestiniens.»
Dylan Robertson, La Presse Canadienne