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L'anorexie associée à des altérations majeures du cerveau

durée 10h00
26 juillet 2025
La Presse Canadienne, 2025
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4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Des troubles alimentaires qui surviennent tôt dans la vie des enfants sont associés à des modifications structurelles majeures de leur cerveau, révèle une nouvelle étude dirigée par Clara Moreau, chercheuse au Centre de recherche Azrieli du CHU Sainte-Justine, à Montréal.

En analysant des images cérébrales obtenues par résonance magnétique (IRM) d'un échantillon de 290 enfants âgés de 7 à 13 ans, Mme Moreau a observé chez les enfants anorexiques un amincissement important et généralisé du cortex cérébral.

Ce phénomène avait récemment été documenté chez les adolescents et adultes souffrant d’anorexie, précise-t-elle, ce qui suggère un impact significatif sur le cerveau, peu importe l’âge.

«On voulait regarder si l'anorexie était associée à quoi que ce soit au niveau cérébral. Parce que les radiologues ont tendance à penser que non. Et puis finalement, on a trouvé de fortes altérations. Quand je dis fort, c'est une des plus fortes qu'on trouve en psychiatrie, plus fort que dans l'autisme ou dans la schizophrénie», s'étonne la chercheuse.

L'amincissement du cortex cérébral aura des impacts dans la vie des jeunes souffrant d'anorexie, mais ce phénomène peut être réversible à condition de ne pas faire trop de rechutes.

«En fait, le cerveau, les structures, elles sont toujours là, elles ne sont pas détruites, mais par contre, tout le gras est enlevé (le cerveau est composé de beaucoup de gras). [...] L'enfant ne va pas avoir forcément des troubles de la mémoire, mais plutôt des difficultés d'apprendre rapidement des choses, de concentration», explique Mme Moreau, qui est aussi professeure adjointe à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

L'enfant devra travailler deux fois plus longtemps qu'un autre pour apprendre la même chose, parce que son cerveau va être au ralenti, illustre-t-elle.

«Ce qu'on voit, c'est que même s'il y a une grosse perte de poids rapide, le cerveau, chez un enfant jeune, peut récupérer vraiment vite. Par contre, si cette anorexie dure, qu'elle devient chronique, et qu'il y a plusieurs épisodes, et que ça dure jusqu'à l'âge adulte, là, on peut ne pas avoir la récupération qu'on espère forcément, parce que le cerveau doit s'habituer à cet état de carence continue. Et donc, ça peut altérer son développement général», prévient Mme Moreau.

Perte de la matière grise

Clara Moreau a également analysé les répercussions sur le cerveau d'un autre trouble alimentaire: le trouble de l’alimentation sélective ou d’évitement (TASE), qui est mieux connu sous son acronyme anglais ARFID (Avoidant/Restrictive Food Intake Disorder).

L'ARFID consiste à limiter la prise d’aliments ou ne manger que certains types d’aliments, mais sans désir de perdre du poids et en l’absence d’une image corporelle déformée. Mme Moreau précise que ce trouble survient habituellement chez de jeunes enfants et qu'il touche plus les garçons en comparaison avec l'anorexie où les filles sont plus nombreuses.

Avec son équipe, Mme Moreau a découvert que l’épaisseur du cortex cérébral demeure intacte chez les enfants atteints d'ARFID, mais on observe une diminution du volume intracrânien et de la matière grise.

Des enfants aussi jeunes que 5 ou 6 ans peuvent être atteints d'ARFID. «Ça commence tôt dans le développement, et donc, on pense qu'il y a une adaptation du cerveau à ce faible apport de calories au fil des années. En gros, l'enfant reste en dessous de la courbe de poids d'un enfant normal. L'enfant avec ARFID sera toujours en dessous, donc le développement de son cerveau sera aussi en dessous», vulgarise Mme Moreau.

Les deux troubles alimentaires ont des effets bien distincts, précise la chercheuse. «Dans l'anorexie, tout d'un coup, l'enfant va perdre 10 kilos en trois mois. Donc, le cerveau, il va s'amincir énormément d'un coup comme une réaction presque inflammatoire. Alors que dans l'ARFID, c'est progressif, ça dure sur des années. On a une adaptation de tout le corps qui n'est pas forcément bonne, mais en tout cas qui est là», explique-t-elle.

Cependant, les effets sur le cerveau sont difficilement réversibles pour l'ARFID, même si les enfants gagnent du poids. «C'est comme si ces volumes de matières grises, ils étaient plus difficiles à être récupérés, pointe Mme Moreau. Par contre, les enfants ARFID ont tendance à mieux fonctionner en termes cognitif que l'anorexie.»

Le tiers des patients rechutent sans qu'on sache pourquoi

Les recherches de Mme Moreau pourraient contribuer à mieux accompagner les enfants qui rechutent. Environ 35 % des patients de l'hôpital Sainte-Justine reviennent à l'hôpital après un premier épisode d'anorexie. «Tout a été fait pour qu'ils aillent mieux, ils ont récupéré du poids, ils sont sur une belle courbe de reprise et ils rechutent. On a un tiers des patients qui va rechuter. On ne sait pas à l'heure actuelle pourquoi ces patients rechutent et pas les autres. Qu'est-ce qui les différencie? Il n'y a pas de pas de trait clinique qui les différencie pour qu'on puisse savoir en amont que ces patients sont à risque», soutient l'experte.

Son étude, publiée récemment dans la revue scientifique Nature Mental Health, donne des pistes pour explorer ces enjeux. Les patients qui n'ont pas complètement récupéré au niveau cérébral, même s'ils ont récupéré au niveau pondéral, pourraient ainsi être plus à risque de rechuter.

Mme Moreau veut mettre la lumière sur cet aspect spécifique. Elle a d'abord fait une étude transversale, qui a suivi les patients d'un hôpital à Paris, en France, qui étaient à différents stades de rechutes. «On a pu émettre l'hypothèse qu'effectivement il y a une récupération, qu'elle se passe plutôt bien, en particulier chez les plus jeunes. Mais ce qu'on veut faire maintenant, c'est confirmer ça, ''scanner'' les patients à plusieurs temps de leur récupération et les suivre pour ceux qui vont rechuter», explique-t-elle.

Mme Moreau se lance maintenant dans une étude longitudinale qui suivra des patients de ce même hôpital à Paris en plus d'une cohorte à l'hôpital Sainte-Justine.

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Katrine Desautels, La Presse Canadienne