Encore une faible présence des femmes dans les essais cliniques


Temps de lecture :
4 minutes
Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Il est encore difficile en 2025 de recruter des femmes pour participer aux essais cliniques. Il y a certes un peu de progrès, mais il faudrait faire mieux pour faire avancer la science et être en mesure de bien cerner les effets secondaires des médicaments chez les femmes.
«En ayant une sous-représentation des femmes, on se trouve à assumer que les résultats qu'on découvre sont semblables chez les hommes et chez les femmes, et aussi pour les effets secondaires», souligne la Dre Louise Pilote, professeure au département de médecine à l'Université McGill.
Son champ d'expertise est la santé cardiovasculaire. Dans ce domaine, dit-elle, on affirme qu'en général, les résultats des recherches sont semblables chez les hommes et les femmes, «mais on n'est pas capable de le confirmer parce qu'il n'y a pas assez de femmes qui sont incluses».
Elle se réjouit toutefois de certaines améliorations. Tout dépendant du type de maladies cardiovasculaires, on compte environ une femme sur trois dans les échantillons, alors que c'était une sur quatre il y a une dizaine d'années.
Les critères de sélection qui excluent les femmes découlent en partie du passé. Les essais cliniques ont été complètement interdits aux femmes à la fin des années 1970 aux États-Unis en raison d'une étude qui a mal tourné. Plusieurs se souviendront d'un problème avec la thalidomide, un médicament qui a causé des malformations majeures chez de nombreux nouveau-nés.
À cause de ceci, en 1977, la Food and Drug Administration (FDA) a créé une politique excluant les femmes en âge de procréer des essais cliniques de phase 1 et 2, qui sont normalement le moment où on voit si le médicament a les effets désirés. Le Canada a subi sensiblement le même sort et encore de nos jours, il n'est pas obligatoire d'inclure des femmes dans les échantillons, cela est seulement recommandé.
«Cette exclusion s'est faite malgré le fait que des femmes étaient célibataires sous contraception ou avec un partenaire vasectomisé. Donc, c'était vraiment une politique qui excluait les femmes en âge de procréer, quelle que soit leur situation», a commenté Jane Yardley, directrice de l’unité de recherche sur l’activité physique et le diabète à l'Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM), lors d'un webinaire que l'IRCM a organisé.
Finalement, en 1993, la loi sur la revitalisation du NIH (National Institutes of Health) va stipuler que les essais doivent être réalisés de manière à ce que ce soit possible d'évaluer les effets différentiels sur les femmes et les minorités.
L'exemple du diabète de type 1
«En ce moment, il nous manque toujours un peu de femmes et de minorités en recherche. Les femmes de couleur en particulier sont très sous-représentées dans la recherche», indique Mme Yardley.
Pour illustrer les répercussions que cela peut avoir sur la santé des femmes, elle donne l'exemple du diabète de type 1, une maladie chronique qui touche les hommes et les femmes en proportions à peu près égales.
Or, selon une revue systématique de 2022, les femmes ne représentaient que 31,4 % des participants aux essais cliniques sur le diabète. Les critères d'exclusion comprenaient souvent la grossesse, l'allaitement et le fait de ne pas utiliser de contraceptif, précise Mme Yardley.
«Pour cette raison, les femmes peuvent s'attendre à des effets secondaires plus souvent que les hommes lors de l'utilisation des médicaments parce que souvent les médicaments sont testés sur les hommes et ajustés seulement dépendant du poids de la femme», explique Mme Yardley.
L'experte en diabète ajoute que les femmes métabolisent les médicaments différemment. «C'est vraiment dommage qu'on n'ait pas encore assez de femmes dans ces études pour être capables de trouver ces problèmes avant que les médicaments soient approuvés», se désole-t-elle.
Les femmes sont sous-représentées en recherche aussi en raison de certaines barrières genrées. Par exemple, les femmes sont plus souvent celles qui vont garder les enfants et soigner les personnes âgées.
Les horaires de travail inflexibles ainsi que des heures de clinique inflexibles sont aussi un obstacle à la participation. Plusieurs cliniques pour tester des médicaments sont ouvertes seulement en semaine, le jour, ce qui va exclure une grande partie de la population.
Par ailleurs, plusieurs des essais cliniques sont subventionnés par les compagnies pharmaceutiques, et elles ont «très peur des conséquences légales», souligne Dre Pilote. C'est pourquoi il est parfois plus prudent de simplement ajouter un critère qui va exclure toutes les femmes en âges de procréer.
Enrôlement difficile
Dre Pilote travaille avec le Comité consultatif scientifique sur les produits de santé destinés aux femmes de Santé Canada afin d'augmenter l'inclusion des patientes dans les essais cliniques. «On essaie de plus en plus de changer les politiques, de s'assurer que les critères d'inclusion n'excluent pas les femmes. Il y a beaucoup de mouvements qui sont faits dans cette direction», dit-elle.
De «pousser» pour une meilleure représentativité est un couteau à double tranchant, nuance-t-elle. Parce que si Santé Canada requiert plus de femmes pour tester un médicament, cela va demande plus de temps avant qu'il soit approuvé, d'autant plus que le Canada est un petit marché en comparaison avec les États-Unis.
La spécialiste fait par ailleurs remarquer que les hommes qui mènent les essais cliniques se sentent parfois blâmés. «Ce n'est pas qu'on veut les exclure, mais c'est difficile de les enrôler et c'est difficile aussi de les garder dans les études», explique-t-elle. La docteure propose de s'attaquer aux obstacles de recrutement et d'identifier des facteurs qui peuvent faciliter l'enrôlement.
—
Le contenu en santé de La Presse Canadienne obtient du financement grâce à un partenariat avec l’Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est l’unique responsable des choix éditoriaux.
Katrine Desautels, La Presse Canadienne