Climat: un Canadien a participé à l'écriture d'un rapport qui soulève l'indignation


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Un professeur d’une université canadienne fait partie des cinq auteurs choisis par l’administration Trump pour écrire un rapport très controversé qui soulève l’indignation de plusieurs scientifiques du climat.
Les réactions des scientifiques avec qui La Presse Canadienne s’est entretenue concernant le rapport sur le climat commandé par l’administration Trump laissent peu de place à l’ambiguïté.
«C’est vraiment pénible à lire, c'est du n'importe quoi, mais bien ficelé», a réagi le professeur en sciences de l'environnement à l'Université TÉLUQ Sebastian Weissenberger.
«Ils ont travaillé bien fort pour ne prendre que des gens connus pour leur position de climatosceptique», a observé la professeure au département de biologie de l’Université McGill Catherine Potvin.
Ce document «truffé d'idées fausses, de distorsions et de contre-vérités» est une «honte» et «ces conclusions sont totalement en contradiction avec le consensus scientifique», a pour sa part indiqué le climatologue et géophysicien américain Michael E Mann.
Le rapport, intitulé «Un examen critique des impacts des émissions de gaz à effet de serre sur le climat américain», est ce que l’on obtiendrait si on entraînait un modèle d'Intelligence artificielle «sur une série de sites web climatosceptiques financés par l'industrie des combustibles fossiles», a ajouté M. E Mann, professeur émérite au département des sciences de la Terre et de l'environnement de l'Université de Pennsylvanie, dans un échange de courriels avec La Presse Canadienne.
«Moins dommageables que l'on croyait»
Le rapport de 150 pages publié à la fin juillet par le département de l’Énergie des États-Unis (DOE) conclut que les changements climatiques sont «moins dommageables économiquement que ce que l’on croyait» et qu’ils sont «un défi et non une catastrophe».
Le document, dont la préface est signée par Chris Wright, qui dirigeait une entreprise d’exploitation de gaz de schiste avant d’être nommé secrétaire de l’Énergie par Donald Trump, remet en question l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles.
Par exemple, on peut y lire que «la plupart des phénomènes météorologiques extrêmes aux États-Unis ne présentent pas de tendances à long terme» et que «les allégations d'augmentation de la fréquence ou de l'intensité des ouragans, des tornades, des inondations et des sécheresses ne sont pas étayées par les données historiques américaines».
Cet argument, avancé à plusieurs reprises dans le rapport, est «complètement faux» s'est indigné le professeur Michael E Mann.
«Nous constatons une augmentation de la fréquence des inondations, des sécheresses et des vagues de chaleur. Comme nous l'avons démontré dans nos propres travaux, les modèles climatiques sous-estiment probablement l'impact du réchauffement climatique d'origine humaine sur ces événements», a indiqué le chercheur.
«Le rôle du changement climatique dans l'aggravation de ces phénomènes, tels que les vagues de chaleur, les sécheresses, les incendies de forêt, les inondations et les super-tempêtes, est largement documenté par de récentes évaluations scientifiques, telles que celles du GIEC, de l'Académie nationale des sciences des États-Unis et du National Climate Assessment», a-t-il ajouté.
La «grande quantité de fausses déclarations sur des découvertes scientifiques contenues dans ce rapport rend difficile l’examen détaillé de chaque conclusion – une approche souvent qualifiée de “flooding the zone“. Par conséquent, les conclusions se lisent comme un devoir qui ne répondrait pas aux questions, ou comme une très mauvaise fiction climatique», a pour sa part commenté la professeure à l'école des sciences de l'environnement de l'Université de Guelph Madhur Anand, dans un échange de courriels avec La Presse Canadienne.
Des scientifiques, dont les travaux sont cités dans le rapport de l’administration Trump, ont d’ailleurs sorti publiquement pour dire que leur travail avait été mal interprété.
Par exemple, le chercheur sur le climat Zeke Hausfather, associé à l’Université de Chicago, a expliqué en détail sur son blogue «theclimatebrink», comment le rapport du département de l’Énergie avait utilisé, hors contexte, des données provenant des modèles climatiques qu’il a développés.
«Cela révèle un problème profond dans le rapport du DOE: il sélectionne soigneusement des chiffres et des extraits d'études pour étayer un discours préconçu minimisant le risque du changement climatique. Dans ce cas précis, le contenu de mon article qui allait à l'encontre du discours qu'ils cherchaient à présenter a été ignoré», a écrit le scientifique.
Le Canadien Ross McKitrick parmi les auteurs
Le secrétaire de l’Énergie des États-Unis Chris Wright a écrit, dans la préface du rapport, avoir choisi «un groupe de 5 scientifiques indépendants» avec différentes expertises pour la rédaction du document.
Mais «chacune de ces personnes a un long historique de propagande climatosceptique, et chacune est liée d'une manière ou d'une autre à des groupes de façade financés par les énergies fossiles», a commenté Michael E Mann.
Le professeur à l’Université de Guelph en Ontario, Ross McKitrick, fait partie de ces cinq auteurs.
Sur le site internet de l’Université de Guelph, il est écrit que Ross McKitrick est professeur d’économie au département d’économie et de finance, qu’il a joint en 1996.
Il est également membre de l’Institut Fraser, et, comme le rapporte la «base de données sur la désinformation climatique» du média desmog.com, Ross McKitrick est signataire de la «déclaration évangélique sur le réchauffement climatique» de la Cornwall Alliance, une organisation de chrétiens évangéliques conservateurs.
«Nous nions que le dioxyde de carbone, essentiel à toute croissance végétale, soit un polluant. La réduction des gaz à effet de serre ne peut pas entraîner de réductions significatives des températures mondiales futures, et les coûts de ces politiques dépasseraient de loin les avantages», peut-on lire dans cette déclaration.
Le professeur d’économie Ross McKitrick est également coauteur d’un rapport de l'Institut Fraser intitulé «Independent Summary for Policymakers of the IPCC‘s Fourth Assessment report».
Dans ce rapport, publié en 2007, qui se voulait une réponse aux conclusions du quatrième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), on peut notamment lire ceci:
«Il restera inévitablement un élément d’incertitude quant à la mesure dans laquelle les humains contribuent au changement climatique futur, et même si ce changement est ou non une bonne ou une mauvaise chose.»
Ross McKitrick est «quelqu’un qui fait du climatoscepticisme depuis le début des années 2000», a réagi le professeur en sciences de l'environnement Sebastian Weissenberger.
La Presse Canadienne a sollicité une entrevue avec Ross McKitrick, mais celui-ci n’a pas répondu.
Dans un échange de courriels, la collègue de Ross McKitrick à l’Université de Guelph Madhur Anand, a notamment commenté la déclaration du secrétaire à l’Énergie Chris Wright, qui a écrit avoir choisi «un groupe de cinq scientifiques indépendants» avec différentes expertises pour la rédaction du document.
«Il n’est pas possible d’être diversifié avec seulement cinq personnes, comme tente de le prétendre ce rapport dans sa préface, et cela n’a pas de sens de comparer ce document aux multiples années de travail du GIEC qui a permis à des centaines de scientifiques de parvenir à un consensus exhortant l’humanité à une réduction des émissions et à des changements rapides, de grande envergure et sans précédent dans l’ensemble de la société».
La professeure Anand a également souligné que «la dernière évaluation du GIEC synthétise les résultats de plus de 14 000 études évaluées par des pairs et est le fruit de la collaboration de centaines de scientifiques de toutes disciplines».
En revanche, a-t-elle ajouté, «ce rapport s'appuie sur un ensemble restreint d'environ 300 études et présente souvent leurs conclusions de manière sélective, voire trompeuse. Plutôt que de se pencher sur l'ensemble des données examinées dans les plus de 8000 pages du GIEC, les auteurs de ce rapport sélectionnent un échantillon restreint et reformulent les résultats pour les adapter à un récit prédéfini».
Un rapport politique
Si le décalage entre le consensus scientifique et le rapport de l’administration Trump est si grand, c’est tout simplement pour des raisons politiques, selon plusieurs chercheurs questionnés par La Presse Canadienne.
Il y a trois semaines, l'Agence de protection de l'environnement (EPA) a annoncé qu’elle comptait annuler l'«Endangerment Finding», une déclaration qui date de 2009 et qui établit que le dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet de serre constituent un danger pour la santé et le bien-être publics.
Cette déclaration constitue le fondement juridique d'une série de réglementations climatiques, en vertu du Clean Air Act, la loi américaine sur la qualité de l'air, concernant les véhicules à moteur, les centrales électriques et autres sources de pollution contribuant au réchauffement climatique.
Pour que l’EPA puisse annuler l'«Endangerment Finding», et plusieurs règlements de protection de l’environnement, elle doit le faire en présentant de nouvelles données scientifiques.
Michael E Mann et d’autres scientifiques croient que c’est exactement pour cette raison que le département de l’énergie a publié son rapport.
Celui-ci a d’ailleurs été publié quelques heures après que l’EPA a annoncé qu’elle comptait annuler l'«Endangerment Finding».
«Si l’Endangerment Finding est annulée, l'EPA se sera volontairement et délibérément soustraite à sa responsabilité de lutter contre les changements climatiques. Cette abdication, conjuguée aux mesures prises par l'administration Trump et le Congrès, qui entravent les politiques et les investissements fédéraux en matière d'énergie propre et favorisent les énergies fossiles, porte un coup dur à l'action climatique américaine», a déclaré lundi Rachel Cleetus, de l'Union of Concerned Scientists, un groupe américain indépendant de scientifiques.
«Nous assistons à l'abandon total de la mission de l'agence de l’Environnement, créée pour protéger la santé publique et l'environnement, au profit d'un programme proénergies fossiles», a-t-elle écrit dans un article publié sur le site de l'Union of Concerned Scientists.
Depuis qu’elle est en poste, l’administration Trump a congédié des chercheurs du climat, interdit certains mots dans des articles scientifiques, coupé dans le financement des recherches sur l’environnement, menacé de retirer l’aide financière à des universités et effacé des rapports scientifiques de sites gouvernementaux, entre autres.
Stéphane Blais, La Presse Canadienne