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Climat: le Canada pourrait faire l'objet de poursuites de la part de pays vulnérables

durée 12h11
24 juillet 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Le Canada, important producteur de pétrole, pourrait faire l'objet de poursuites de la part de pays particulièrement vulnérables aux changements climatiques, selon un avis publié mercredi par la Cour internationale de justice (CIJ), qui considère désormais que le fait d'octroyer des permis d'exploration pétrolière ou des subventions au développement d'énergies fossiles peut constituer un acte illégal en vertu du droit international.

L'avocat Christopher Campbell-Duruflé, qui enseigne le droit à l'Université métropolitaine de Toronto, considère que le document publié mercredi par la CIJ est «un avis majeur» que doit prendre en compte Ottawa.

«C'est clair que pour le Canada, c'est le moment de passer en revue tout son cadre législatif réglementaire pour s'assurer qu'il respecte l'obligation de ne pas endommager le système climatique», a réagi le juriste.

Dans un document de la Cour internationale de justice, qui résume l'avis consultatif sur les obligations des États en matière de lutte contre les changements climatiques, on peut lire que les subventions aux énergies fossiles ainsi que l'octroi de permis d'exploration pétrolière pourraient être considérés comme illicites.

«Le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique contre les émissions de gaz à effet de serre, notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles, ou en octroyant des permis d’exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles peut constituer un fait internationalement illicite attribuable à cet État», peut-on lire dans le document de la cour qui siège à La Haye.

L'avis de la CIJ indique également qu'un État pourrait être poursuivi par un autre État «si, par exemple, il a manqué d’exercer la diligence requise en ne prenant pas les mesures réglementaires et législatives nécessaires pour limiter la quantité d’émissions causées par les acteurs privés relevant de sa juridiction».

L'avocat spécialisé en droit international de l'environnement Christopher Campbell-Duruflé a souligné, en entrevue avec La Presse Canadienne, que la CIJ a clarifié, dans son avis, ce que signifie la diligence climatique.

«Il y a toute une liste de choses qu'un État doit faire pour montrer qu'il est diligent, par exemple adopter des mécanismes réglementaires d'atténuation des émissions de GES, adopter des lois et des règlements pour réduire les émissions, évaluer les impacts de toutes les activités projetées depuis la perspective des émissions de gaz à effet de serre, de même qu'éventuellement notifier et consulter de bonne foi les autres États lorsqu'une activité émettrice de GES est projetée.»

Concrètement, a ajouté le professeur, «les projets de pipeline (...) et tous les genres de projet qui vont apporter des émissions significatives de gaz à effet de serre doivent être évalués depuis la perspective du devoir de diligence».

La publication de cet avis survient à un moment où, paradoxalement, au Canada, le gouvernement libéral fait la promotion d'une loi qui donne à Ottawa le pouvoir d’accélérer les projets qu’il juge d’intérêt national en contournant certaines mesures en matière d’évaluation environnementale, a souligné Géraud de Lassus St-Geniès, professeur agrégé à la Faculté de droit de l'Université Laval.

«On a quand même un discours au sein du Canada qui consiste à dire aujourd'hui que les procédures d'évaluation environnementale préalables des projets sont néfastes, nuisibles, et qu'elles sont une perte de temps. Mais la Cour est très claire là-dessus. Il faut faire le maximum d'efforts pour lutter contre les changements climatiques et ça veut dire qu'il faut adopter des procédures d'évaluation d'impacts environnementaux. Ça veut aussi dire qu'alléger ces processus-là ne va pas vraiment dans le sens de ce que dit la Cour», a indiqué l'expert en droit international de l'environnement.

La Presse Canadienne a sollicité les commentaires de la ministre de l'Environnement, Julie Dabrusin, au sujet de l'avis de la CIJ, mais n'a pas reçu de réponse.

Le Canada faisait valoir qu'il n'existait aucune obligation internationale

L'avis publié mercredi survient après des années de lobbyisme venant de nations insulaires vulnérables, dont le Vanuatu, qui est à l'origine de la démarche, et qui craint de disparaître sous la montée des eaux.

L’Assemblée générale des Nations unies avait demandé en 2023 à la CIJ un avis consultatif, fondement essentiel des obligations internationales.

Un panel de 15 juges a été chargé de répondre à deux questions: quelles sont les obligations des pays en vertu du droit international pour protéger le climat et l’environnement des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine? Deuxièmement, quelles sont les conséquences juridiques pour les gouvernements lorsque leurs actes, ou leur inaction, ont gravement nui au climat et à l’environnement?

En entrevue avec La Presse Canadienne, Christopher Campbell-Duruflé a rappelé que le Canada avait participé aux discussions menant à cet avis et qu'Ottawa avait fait valoir qu’ il n’existait aucune obligation, en vertu du droit international coutumier, d’éviter de causer des dommages importants au système climatique.

«Les Canadiens sont allés à La Haye et ils ont fourni des arguments écrits. Ils ont dit que le droit coutumier ne s'appliquait pas et qu'il n'existait pas d'obligation coutumière de prévenir les dommages au système climatique. Mais la Cour, elle vient nous dire le contraire, que le droit coutumier international s'applique à la protection du système climatique. C'est majeur. Je veux vraiment insister sur le fait que c'est un jugement majeur.»

Donc, a résumé le juriste, le Canada ne peut plus se contenter «de dire qu'il suit l'Accord de Paris» et qu'il «a des cibles ambitieuses». Il doit également «être diligent», sinon il s'expose à des poursuites et pourrait se voir réclamer des réparations par les pays les plus touchés.

«C'est très clair que la prochaine étape pour le Vanuatu ou pour d'autres pays vulnérables, on peut penser à Haïti (…), est de faire des demandes contre les États qui ne sont pas diligents. Donc, soit on suit le cadre juridique présenté par la Cour, ou soit on prend le risque de se faire poursuivre à la Cour internationale», a résumé Me Campbell-Duruflé.

«Mais si la Cour commence à accepter ce type de requête, elle risque d'être inondée par des contentieux», a indiqué Géraud de Lassus St-Geniès, en ajoutant du même souffle qu'il n'est pas convaincu que cet avis ouvrira nécessairement la porte à des poursuites.

«Il faut se questionner sur les implications politiques que pourraient avoir de telles démarches entre les États», a-t-il indiqué en faisant référence, par exemple, aux impacts diplomatiques.

Le professeur de droit a suggéré que «ce nouveau cadre juridique» pourrait servir de levier lors des négociations entre les pays les plus vulnérables et les pays riches.

«Il faut se questionner sur l'impact que ça pourrait avoir sur les processus de négociation, donc sur les COP» et «je pense qu'on aura la réponse assez rapidement dans quelques mois au Brésil lors de la COP30. On verra alors quel impact ça a sur les négociations» concernant l’aide financière attendue de la part des pollueurs historiques pour les pays les plus pauvres.

Faire confiance à la «sagesse humaine»

Dans son avis juridique, la Cour internationale de justice souligne que les questions posées par l’Assemblée générale des Nations unies concernant les obligations des États en matière de lutte contre les changements climatiques «sont davantage qu’un problème juridique: elles concernent un problème existentiel de portée planétaire qui met en péril toutes les formes de vie et la santé même de notre planète».

Ainsi, la Cour reconnaît que le droit international «joue un rôle important, mais somme toute limité» dans la résolution de ce problème.

«Une solution durable et satisfaisante requiert la volonté et la sagesse humaines — aux niveaux des individus, de la société et des politiques», peut-on lire dans l'avis.

«La Cour est très lucide dans sa lecture du problème climatique, en ce sens où elle n'enferme pas ce problème-là dans un problème exclusivement juridique» et souligne que la «solution passe par la volonté et la sagesse humaine», a noté le professeur Géraud de Lassus St-Geniès.

«Je crois que c'est un message très fort qui consiste à dire qu'on ne pourra pas multiplier les affaires devant les juridictions et qu'une bonne politique jurisprudentielle ne remplacera jamais des solutions politiques et c'est par là que le problème doit être résolu.»

Stéphane Blais, La Presse Canadienne