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Changement de gaz anesthésique: le virage est lent, selon certains

durée 04h30
4 août 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Il y a un peu plus d'an, l'INESSS publiait un avis qui recommandait de passer à un gaz anesthésique beaucoup moins polluant afin de réduire l'empreinte carbone, entre autres dans les blocs opératoires, en plus de réduire les coûts. Alors qu'on effectue des coupes dans le système de santé, des anesthésistes se demandent pourquoi l'application uniforme de cette recommandation tarde autant.

Dans son avis, l'Institut national d'excellence en santé et services sociaux (INESSS) indiquait qu'il préconisait l'anesthésie au sévoflurane et l’élimination, «sauf en cas de situations très exceptionnelles», de l’usage du desflurane, qui a une empreinte carbone 40 fois plus élevée que le sévoflurane.

En 2023, le nombre d’heures d’anesthésie générale au desflurane ne représentait que 3 % du nombre total d’heures d’anesthésie associées aux agents halogénés, mais ce gaz a engendré 51 % des tonnes d’équivalent CO2 associées à ces agents.

De plus, le remplacement progressif du desflurane par le sévoflurane pourrait permettre des économies de 204 400 $ sur trois ans. «Ce n'est pas des sommes colossales, mais ce sont quand même des sommes pas négligeables qui pourraient certainement servir à mieux que de les gaspiller de cette façon-là», commente l'anesthésiste Stephan Williams.

«Ce qui nous rend quand même tristes, les cliniciens, c'est de voir des coupes des fois dans des choses qui sont importantes pour les patients ou des choses qu'on ne peut pas développer, qu'on aimerait développer et qu'on nous dit que c'est pour des raisons budgétaires. En même temps, il y a des dépenses comme ça qui se font sans bénéfice pour le patient alors que les rapports de notre propre institut d'excellence — qui a coûté quelque chose à faire aussi — nous disent d'arrêter de le faire.»

Santé Québec assure être à l'oeuvre

L'INESSS recommandait également de fermer les canalisations dans les établissements de santé qui distribuent du protoxyde d'azote — un autre gaz polluant qui a une durée de vie de 109 ans dans l'atmosphère. «Ça ne veut pas dire aller dans les murs et tout arracher les tuyaux, c'est un travail quand même assez simple. Il y a un réservoir central de protoxyde d'azote, là on débranche les grosses bombonnes de protoxyde, puis on met des capuchons là où le protoxyde sortait des murs. On écrit à tout le monde, on coordonne, on dit: ''maintenant, si vous en voulez, ça va être avec des bombonnes''. Puis la chose est faite», résume M. Williams.

Il est cogestionnaire médical du Comité stratégique en carboneutralité et développement durable du CHUM, qui vise à atteindre la neutralité carbone d'ici 2040. D'ailleurs, il précise que le CHUM avait déjà procédé à la fermeture des canalisations centrales de protoxyde d'azote avant même la publication du rapport de l'INESSS.

Plusieurs établissements ont cessé d'utiliser le desflurane, mais d'autres continuent d'en acheter, selon M. Williams. Le desflurane n'a pas non plus été retiré de la liste provinciale des médicaments, contrairement à ce que recommandait l'INESSS.

Santé Québec a fait savoir que les recommandations de l'INESSS seront suivies et que les travaux sont en cours. Dans un courriel transmis à La Presse Canadienne, la société d'État mentionne qu'elle «s’engage à réduire l’empreinte environnementale du réseau de la santé et à intégrer les principes du développement durable dans ses pratiques cliniques».

«Les établissements (CISSS et CIUSSS) ont amorcé des démarches afin de réduire progressivement l’utilisation du desflurane, un gaz à effet de serre particulièrement puissant, au profit d’alternatives moins polluantes, comme le sévoflurane», a écrit Santé Québec, sans préciser quelles démarches avaient été entamées en ce sens.

«S'il y a quelque chose qui avance, on ne le voit pas. Ni sur le terrain, ni dans les communications», s'impatiente M. Williams. Il souligne qu'il se fait beaucoup de bon travail en pérennisation environnementale des soins sans compromis pour la qualité, mais malheureusement, dit-il, il constate un manque de la part de Santé Québec de généraliser les bons coups locaux des cliniciens.

«Je vais le croire quand je vais le voir»

«Ce que je comprends juste en discussions informelles avec mes collègues, il y a beaucoup de centres qui ont arrêté de l'utiliser (le desflurane) suite à la publication du rapport. Mais ce travail de groupe par groupe, individu par individu, ce n'est pas quelque chose qui vient du ministère ou de Santé Québec, et pourtant, c'est eux qui ont commandé ce rapport-là», fait valoir M. Williams, qui coordonne le comité carboneutralité de l'Association des anesthésiologistes.

En effet, le ministère de la Santé et des Services sociaux a confié à l’INESSS le mandat de formuler des recommandations sur les meilleures pratiques cliniques à mettre en place pour diminuer l’empreinte carbone de l’anesthésie générale par inhalation. Le ministère a fait cette requête à la suite d'une demande de l’Association des anesthésiologistes du Québec.

Le sous-ministre à la Santé et aux Services sociaux a transmis, le 24 mars dernier, une lettre à Santé Québec lui demandant de donner suite à l’avis de l’INESSS pour revoir l’utilisation des gaz afin de diminuer l’empreinte carbone dans le réseau de la santé.

«En accord avec les recommandations proposées, le MSSS a notamment demandé que soit minimisée, voire cessée, l’utilisation du desflurane, tout en laissant une marge pour son utilisation selon des motifs de nécessité médicale particulière. Une approche progressive est recommandée pour y parvenir, afin de s’assurer du respect des contrats en vigueur», précise le ministère dans un courriel.

Certes, M. Williams est encouragé par le fait que Santé Québec veuille aller de l'avant avec les recommandations, mais il est sceptique. «Je vais le croire quand je vais le voir», dit-il.

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Katrine Desautels, La Presse Canadienne