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Acouphènes: une meilleure compréhension du problème est source d'espoir

durée 10h00
4 mai 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Les scientifiques ont aujourd'hui une meilleure compréhension des acouphènes et des options de traitement de plus en plus efficaces sont disponibles, a indiqué un spécialiste de l'Université Harvard lors d'une longue conversation avec La Presse Canadienne.

Les acouphènes sont ces sons persistants ― des sifflements, des bourdonnements, des grondements, voire de la musique ― que la personne qui en souffre est la seule à entendre.

Si le problème peut paraître banal, il pourra dans les faits tellement affecter la qualité de vie des patients ― par exemple, en en empêchant certains de dormir ― qu'une anxiété et une dépression pourront en résulter.

On estime que les acouphènes touchent entre 10 % et 15 % de la population, ce qui représente des millions de personnes.

«L'oreille, c'est un appareil qui est formidable, a rappelé le professeur Stéphane Maison, de l'Université Harvard. C'est un appareil qui est capable de vous informer sur des sons qui sont très, très, faibles, comme un murmure, et des sons qui sont très, très, forts, comme une explosion. Et si on pense à ce que peut faire l'oreille, c'est quelque chose qui est inégalé. Il n'y a rien sur Terre qui est capable de faire quelque chose comme ça.»

Les spécialistes pensaient depuis longtemps que les acouphènes étaient la réaction du cerveau à une perte auditive, a dit M. Maison, un phénomène que l'on pourrait comparer à la «sensation» qui persiste après l'amputation d'un membre.

«Le cerveau va recevoir des informations de tous vos systèmes sensoriels, le système visuel, le système olfactif, le système auditif, la perception aussi, a-t-il expliqué. Et quand le cerveau ne reçoit plus cette information, il va essayer de compenser cette perte. Et une des façons de compenser cette perte, c'est d'augmenter le gain, d'augmenter son activité. En gros, il va devenir hyperactif pour essayer de compenser.»

C'est une découverte réalisée en 2009 par les chercheurs américains Sharon Kijawa et Charlie Liberman qui a chamboulé la compréhension qu'on avait des acouphènes, a-t-il ajouté.

Lors d'expériences sur des souris, Mme Kijawa et M. Liberman ont constaté que lorsqu'une perte auditive commence à s'installer, les premières fibres à disparaître sont celles qui permettent d'entendre les sons de forte intensité. C'est ce qui explique pourquoi certaines personnes peinent à suivre une conversation dans un environnement bruyant, comme au restaurant: les fibres responsables de la compréhension des sons de forte intensité ne fonctionnent plus, et celles responsables de la compréhension des sons de faible intensité sont complètement saturées.

Cela expliquait aussi pourquoi des gens disant souffrir d'acouphènes pouvaient obtenir un résultat normal à un audiogramme, puisque le test d'audition normal n'est pas conçu pour détecter la perte des fibres responsables de la compréhension des sons de forte intensité.

«Il est donc très possible que les gens qui ont une audition normale aient des acouphènes, qu'ils aient une perte auditive qui n'est pas documentée sur l'audiogramme», a précisé M. Maison, qui souligne que cela renforce l'hypothèse du cerveau qui compense pour une perte auditive.

Les fibres auditives dégénèrent avec l'âge et à la suite d'une exposition prolongée ou répétée au bruit. Des expériences réalisées sur des souris ont toutefois démontré qu'il peut être possible de «reconnecter» ces fibres en administrant des neurotrophines, des protéines importantes dans la survie, le développement et le fonctionnement des neurones.

En effet, a dit M. Maison, les fibres qui ont cessé de fonctionner ne sont pas entièrement mortes: c'est plutôt la «connexion» avec le cerveau qui a été perdue.

«Donc on pourrait essayer de reconnecter ces fibres et de rétablir l'information, a-t-il dit. Si ça marche, et ça c'est un grand SI, on pourrait (...) peut-être rapporter de l'information au cerveau, et peut-être que le cerveau va se dire, 'Je n'ai pas besoin d'être hyperactif parce que maintenant je reçois cette information qui était manquante', et peut-être que le cerveau diminuera le gain.»

Cette intervention devrait probablement s'accompagner d'un certain «reconditionnement» du cerveau pour l'aider à réduire ce gain, a précisé M. Maison.

Résultats mitigés

On ne dispose pour le moment que de très peu d'options thérapeutiques pour aider les patients souffrant d'acouphènes, et les résultats sont souvent mitigés: si certains patients affirment que cela les aide, d'autres disent plutôt que le problème demeure très et trop présent.

La chose qui est probablement la moins controversée au sujet des acouphènes, a dit M. Maison, est leur association au stress.

«Donc tout ce qu'on peut faire pour diminuer le stress peut avoir un impact positif pour les acouphènes», a-t-il indiqué.

Le stress pourra même être généré par l'apparition soudaine de ces bruits dans l'oreille, a rappelé M. Maison. Ne sachant pas ce qui lui arrive, le patient pourra penser qu'il a un cancer, ou qu'il est en train de devenir fou, ce qui augmentera son niveau de stress et pourra aggraver le problème. Le fait de mieux comprendre ce qui se passe pourra donc apporter un certain soulagement.

Des appareils auditifs pourront aussi être utiles, même s'il importe d'être «honnête avec le patient en lui disant que ça ne sera pas parfait, qu'il n'entendra pas comme quand il avait 15 ans», a dit M. Maison. D'autres appareils auditifs produisent en continu un «bruit blanc» qui pourra masquer les symptômes des acouphènes.

La troisième option est le recours à la thérapie cognitive comportementale, pour apprendre à mieux accepter et à avoir une réaction moins émotionnelle aux acouphènes, a ajouté M. Maison.

On retrouve enfin sur le marché certains appareils qui essaient d'agir au niveau du système nerveux central pour, essentiellement, «reconditionner» le cerveau et diminuer «parfois de manière significative» la perception des acouphènes, a dit M. Maison.

«À ce jour, il n'y a pas de cure, mais on travaille là-dessus», a-t-il conclu.

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne